« Le
reportage montre, le documentaire démontre »
Les organisateurs du
festival national du film, qui se termine ce 7 mars à Tanger, ont introduit une nouvelle donne majeure qui pourrait
faire de cette édition du FNF une page historique dans l’évolution du cinéma
marocain. Il s’agit de l’instauration d’une section propre au documentaire.
Cette 21ème confirme en effet que désormais le film documentaire
aura sa propre compétition, un jury qui
lui est spécifiquement dédié et à la clé deux prix pour couronner le palmarès,
à savoir un grand prix et le prix spécial du jury. C’est une bonne nouvelle à
la fois pour le documentaire et pour le festival lui-même.
Pour le documentaire
d’abord qui était cantonné jusqu’ici dans une logique de
quota, lui réservant deux places au sein de la compétition officielle. Une
sorte de strapontin qui n’a pas empêché quand même un « documentaire »,
lors de l’édition 2019, de décrocher le grand prix du festival au grand dam des
films de fiction pourtant majoritaires grâce à cette règle de quota ridicule. Et
pour le festival lui-même qui gagne, avec ce changement, en
professionnalisme, en diversité et une programmation plus variée puisque la
compétition du documentaire n’est pas insérée dans un créneau libéré par la
fiction mais occupera son propre espace dans l’agenda du festival,
parallèlement aux autres activités. Ce qui amènera un festivalier sérieux,
chaque matin, à faire un choix comme dans un grand festival qui se respecte.
Une certaine pratique a généré une aristocratie des festivals qui monopolise la
présence (être invité au festival est perçu comme un droit acquis au détriment des
jeunes cinéphiles) et qui bloque toute velléité de changement sous prétexte de
ne pas bousculer la tradition ; en fait, une certaine paresse qui a fini
par provoquer une certaine sclérose intellectuelle. Aujourd’hui, le festival et
ses invités entrent dans une nouvelle dynamique.
Cette réhabilitation sous
forme de reconnaissance devrait être maintenant menée jusqu’au bout, notamment
avec la nécessaire révision du texte de l’avance sur recettes qui limite les
choix de la commission à deux documentaires par an. Je propose par exemple
d’ajouter une quatrième session, au lieu de trois par an actuellement, qui
serait exclusivement dédiée aux premières œuvres et aux documentaires. L’idéal
bien sûr serait de supprimer carrément cette catégorisation et d’ouvrir la
participation aux œuvres cinématographiques nonobstant leur inscription
institutionnelle dans tel ou tel genre. L’avantage de l’initiative du CCM est
de lancer le débat.
Certes, le documentaire
et le festival national, c’est déjà une longue histoire. Je rappelle que lors
de la première édition du FNF (Rabat, du 9 au 16 octobre 1982), la compétition
officielle était ouverte aux différents genres et formats, avec d’ailleurs une
présence de documentaire de qualité (Transe
de Ahmed Maanouni ; Maarouf n’tamajlocht
de Hamid Bensaid et Paul Pascon). En 1998, lors de la 5ème édition, un
docu-fiction va faire sensation, Dans la maison de mon père de Fatima Jebli
Ouazzani, qui décrochera le grand prix. En 2008, l’excellent Nos lieux
interdits de Laila Kilani remportera le prix du Cinquantenaire du cinéma
marocain. En 2011, Fragments de Hakim Belabbès était reparti, auréolé du grand
prix du festival, largement mérité.
L’idée dominante, pertinente par ailleurs,
était de considérer le documentaire non pas comme un genre périphérique mais
comme un film cinématographique. La distinction étant par ailleurs, d’un point
de vue théorique, quasi artificielle. Pour Godard tout film est
documentaire : il a raison, tout film est un document sur son époque, mais
aussi un document sur les conditions de son tournage. Pour Christian Metz, le
fondateur de la sémiologie du cinéma, tout film est fiction.
Un rappel pour
souligner de notre part que le documentaire ne peut être enfermé dans des
considérations strictement institutionnelles. Le documentaire qui a pour objet
de réécrire le monde, contrairement au reportage qui rapporte, est porteur d’enjeux esthétiques, éthiques
voire politiques. Depuis la mainmise de la télévision sur le marché des images
et l’arrivée du numérique, le documentaire est au cœur d’un questionnement
stratégique. Si nous réaffirmons que la patrie originelle du documentaire
demeure le cinéma, nous constatons hélas que ce genre fondateur subit un formatage en règle. Ce n’est pas sans
raison que l’on présente de plus en plus le documentaire comme un espace de
résistance face à la pression de la société du spectacle et du consumérisme. Au
moment où le cinéma de fiction s’essouffle face à la complexité du monde et se
réfugie dans une surenchère d’effets spéciaux et de super héros, le
documentaire offre un lieu de rafraichissement du regard. De donner à voir le
monde autrement.
L’expérience
marocaine en la matière est éclairante ; elle dit aussi la crise du cinéma
documentaire. Nous assistons à une inflation de discours, de manifestations et
de rencontres sur le documentaire au moment même où celui-ci est bafoué dans
ses règles élémentaires. C’est ainsi qu’un long reportage porté par une
grammaire de télévision s’est vu consacré comme meilleur film de cinéma en
2019.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire