Cinéma : Brahim Chkiri bat Joker !
La tradition est
respectée ; le CCM est fidèle à son rendez-vous annuel, en marge du
festival national du cinéma, en présentant les chiffres du cinéma marocain pour
l’année 2019. L’exercice est maintenant parfaitement rodé et fait désormais
partie du rituel inhérent au festival. Le document (version numérique
disponible sur le site du CCM) est une mine d’informations. C’est aussi un
formidable outil de travail à la disposition des chercheurs, des observateurs
de la chose cinématographique. Pour la profession c’est un moment de jeter un
coup d’œil au rétroviseur pour
connaître, savoir ou tout simplement découvrir ce bilan « de santé ».
Pour le cinéphile, le critique de cinéma, le journaliste professionnel …ce sont
des données chiffrées officielles qui permettent de juger sur pièce, et de
bâtir une analyse, non pas sur des impressions, des rumeurs mais sur une véritable
radioscopie du champ cinématographique marocain. D’autant plus qu’avec
l’accumulation des données, une année après l’autre, des perspectives se
dessinent propices à des lectures au-delà de l’instantané vers une vision sur
la longue durée.
Comment se présente
alors l’année 2019 ? On a le choix d’aller dans le sens de la moitié vide
ou pleine du verre. L’organisation du document en rubriques autonomes permet
néanmoins plusieurs options. On peut ainsi ouvrir un focus sur ce qui constitue
l’épine dorsale d’un marché de cinéma,
l’exploitation. Les chiffres des entrées demeurent très modestes mais on
constate pour l’année écoulée un léger frémissement positif avec une
augmentation sensible passant de 1.562.350 pour 2018 à 1.883.425 enregistrant
des recettes guichet de l’ordre de près de 93 millions de dirhams. Plus de 300
mille spectateurs de gagnés, c’est une bonne nouvelle dans un paysage habitué
aux indicateurs négatifs. Pour le directeur du CCM, cette amélioration
s’explique en partie par l’ouverture de nouvelles salles. De nouvelles formules
ont vu en effet le jour, notamment à Rabat. Des formules qui ont dynamisé un
parc marqué par une certaine léthargie due aussi bien à l’absence d’une
politique gouvernementale volontariste dans le domaine et aussi par les
mutations que connaît le marché de la circulation des images avec un nouveau
public aux mœurs post-salle de cinéma. Je rappelle mon hypothèse en la
matière : nous sommes passés de la situation où il n’y avait plus de
public parce qu’il n’y avait pas de salles de cinéma à la situation où il n’y a
plus de salles de cinéma parce qu’il n’y a plus de public. A moins bien
sûr de multiplier les formules et de varier l’offre pour séduire un public
volatile, formaté par le flux visuel ininterrompu, dont le degré d’attention
autour d’une image mobile ne dépasse pas les 9 secondes !
Quels sont alors les films
qui ont bénéficié de ce léger frémissement positif ? On peut dire que les années passent et se
ressemblent : c’est encore une fois une comédie marocaine qui arrive en tête
du top trente. Il s’agit de Massoud, Saida et
Saadane de Brahim Chkiri (désormais un habitué du box office) qui a
réussi à drainer près de 170 000 spectateurs. Il arrive ainsi à battre, de
justesse, Joker, le phénomène cinématographique de 2019.
Plus révélateur encore, sur les trente
premiers films du box office on note la
présence de cinq autres
« comédies » marocaines avec des fortunes diverses : Taxi bied,
deuxième film marocain, sixième au box office total, ne réalise que le tiers
des entrées du film de Chkiri !
Le premier film
« d’auteur » à faire son apparition au box office est Nomades
d’Olivier Coussemacq avec à peine 10 mille entrées. Un déséquilibre radical qui
confirme notre analyse initiale sur la disparition du cinéma du centre, le
fameux réalisme mélodramatique du « groupe de Casablanca ».
D’autres chiffres
sont encore plus révélateurs de l’état dérisoire de la cinéphilie dans un pays
qui compte plus de 60 festivals de cinéma ; car normalement le rôle d’un
festival est de former un public pour un cinéma, un cinéma différent surtout.
C’est ainsi que La guérisseuse, film qui a triomphé en mars 2019 au festival
national du film a été vu par 1853 spectateurs. Quant à Adam, auréolé de
plusieurs prix internationaux avec une
participation à Cannes, un sujet sociétal d’actualité, sorti en août, il n’a
enregistré que 109 entrées. Dans ce tableau chaotique, je salue les 6 mille
spectateurs, quand même, qui sont allées
voir un film fort, à la démarche particulière, De sable et de feu de Souheil Benbarka.
1 commentaire:
des rumeurs mais sur une véritable radioscopie
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