vendredi 7 août 2015

Histoire et cinéma au Maroc

Histoire et cinéma en débat à Mohammedia
Le passé recomposé
« Raconter un drame, c’est en oublier un autre »
Paul Ricœur
La septième édition de l’université d’été organisée par la fédération nationale des ciné-clubs à Mohammedia du 28 juillet au premier août 2015 a connu une intense activité avec des moments phares. Il s’agit notamment du master class animée cette année par le cinéaste Mohamed Mouftakir, de la table ronde autour du thème « cinéma et histoire au Maroc » de l’hommage rendu au cinéphile Hamid Tbatou auteur de plusieurs ouvrages théoriques et académiques sur le cinéma et le théâtre et de la signature du livre « Le plus beau métier du monde : critique de cinéma ».


La table ronde autour du thème Histoire et cinéma a suscité un vif intérêt. Débattre de l’histoire aujourd’hui et de ses rapports multiples et complexes avec le cinéma rejoint une vaste problématique sociale qui traverse à la fois le champ de l’histoire et celui du cinéma. Il y a en effet un engouement particulier pour l’histoire et pour les récits mémoriels exprimés à travers la multiplication des cérémonies commémoratives, de la célébration de pratiques et de rites ancestraux. Le succès d’un projet médiatique incarné par la revue Zamane consacrée à l’histoire en est une autre preuve éloquente. Le voyage dans le passé fait florès. Et la mémoire ne cesse d’être convoquée ici et là. Le titre du roman Nous avons enterré le passé de Abdelkrim Ghallab était allé un peu vite en besogne. Jamais le passé n’a été aussi omniprésent et imprègne l’actualité à la fois politique, religieuse et sociale.
Le cinéma quant à lui connaît de fortes turbulences dans son expression du réel. Cette année en particulier a été marquée par de vives polémiques autour de certains films. Du coup inscrire l’ensemble de ces questions en interrogeant l’articulation du cinéma et de l’histoire trouve toute sa pertinence dans la mesure où ce débat restitue et réhabilite une autre notion essentielle, celle de l’historicité.
Le cinéma en effet entretient des rapports « historiques » si j’ose dire avec l’histoire. Devenu septième art, il a cherché très tôt à asseoir sa légitimité sociale sur une légitimité artistique et culturelle. Pour ce faire le cinéma s’est approché du roman, du théâtre et s’est inspiré de récits historiques. Mais en échange l’intérêt des historiens pour le cinéma a été tardif. Ce n’est que vers la fin des années 50 du siècle  dernier que des historiens ont proposé d’élargir la panoplie de leurs sources en convoquant la source filmique. Des raisons d’ordre techniques et méthodologiques expliquent ce retard. Les avancées réalisées en matières des sciences humaines ont doté les chercheurs d’outils susceptibles de décrypter le film cinématographique comme document historique ; à la fois utile pour l’histoire tout court comme pour l’histoire du cinéma. Témoin de son temps, le cinéma comme l’ont montré Godard et théorisé Gilles Deleuze, est aussi témoin de lui-même. Tout film peut être considéré comme témoin de son tournage, porter les traces visibles de son temps et être ainsi marqué d’historicité. L’idée d’historicité me semble en effet, et comme l’a montré le théoricien franco-iranien Youssef Ishaghpour, un concept opératoire qui permet d’englober les questions vastes soulevés par le rapport cinéma et histoire : histoire du cinéma, le cinéma historique,  l’histoire des formes et des techniques, le discours sur le cinéma ainsi que les influences réciproques entre le cinéma et l’histoire.
S’agissant du cinéma marocain en particulier on peut dire qu’il a accumulé un corpus suffisamment consistant qui offre une variété d’approches de la thématique historique. Si l’on suspend momentanément le fait essentiel que chaque film peut être interrogé du point de vue de l’histoire et on se concentre sur l’approche classique du film historique, on peut relever dans la filmographie marocaine des titres qui font directement référence à l’histoire comme argument dramatique. L’emblème cinématographique important de cette démarche étant Les cavaliers de la gloire de Souheil Benbarka (1993) grandiose superproduction qui a, largement, tenu ses promesses.
Cependant, ce qui caractérise ce corpus ce sont des films qui ne se sont pas contentés de s’inspirer de faits historiques mais ont tenté de « problématiser » cette approche en l’interrogeant d’un point de vue cinématographique. Ils ont abordé l’histoire avec une écriture originale qui est aussi un regard du cinéaste sur le récit historique.
Ahmed Bouanani avec Mémoire 14 (1971) Moumen Smihi avec 44 ou les récits de la nuit (1984) Laila Kilani avec Nos lieux interdits (2008) nous offrent ainsi ce que j’ai appelé des « propositions filmiques ». Proposition à prendre au sens philosophique et logique à savoir « un énoncé susceptible d’être vrai ou faux ».
Mémoire 14 construit un regard d’inspiration mythologique sur les années de la colonisation perçues comme « génocide culturel » ; l’originalité réside dans le détournement des images de l’autre : les archives filmées et photographiques produites par les instances coloniales pour les monter autrement et leur faire dire un autre point de vue imprégné de la culture agressée.

Côté fiction, Moumen Smihi rejoint Bouanani dans le refus du récit canonique de l’histoire coloniale : « 44 », c’est-à-dire le nombre des années du protectorat sont revisitées à la lumière de récit empreint là aussi de mythologies locales, réhabilitant le conte, le crieur public et la halqa comme référence d’une autre narration moins linéaire, fragmentée et polyphonique. 

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