le capteur de signes
Abdelkébir Khatibi n’est plus. Il est décédé hier à Rabat à l’âge de 71 ans. On le savait malade ; début février il bénéficia de la haute sollicitude royale pour avoir les soins adéquats. On comptait aussi, pour dépasser cet épisode, sur son esprit de résistance à l’image du « lutteur de classes à la manière taôiste » ; mais son grand cœur a fini par céder pour ouvrir la voie au repos du guerrier : Khatibi fut en effet un infatigable travailleur. Serein, discret mais toujours profond, pertinent, élégant et perspicace. Comment le définir ? Sociologue ? Chercheur ? Romancier ? Poète ? Critique d’art ?...Tout cela est un peu plus. Il était en fait un intellectuel dans le sens qu’il nous avait précisé dans un entretien, à savoir l’intellectuel perçu comme le capteur des signes. Et Khatibi en fut un au sens fort et noble du mot. Il était à l’écoute des signes, attentif aux vibrations des ondes…il était un sismographe en état de veille permanent, au diapason de l’esprit du temps. Il était un grand amoureux de signes. Il aimait à sa manière : il nous apprenait par exemple à aimer notre pays mais toujours d’un amour critique. Sur cette voie, il forgea –le mot n’est pas approprié- il sculpta plutôt un joli concept, L’AIMANCE. L’aimance, c’est le paradigme fondateur de la pensée khatibienne ; la clé d’une œuvre en perpétuel mouvement transcendant les genres et les frontières académiques.
Et pourtant tout avait commencé sous le signe d’une appartenance affichée à la science des sciences, la sociologie. Comme un bon enfant de son siècle, Khatibi choisit la voie des sciences sociales. Il était né à Eljadida en 1938. La Deauville du Maroc. Il rejoint Paris pour poursuivre ses études supérieures à La Sorbonne. Sa thèse de recherche en dit déjà long sur sa démarche future : elle portait en effet sur le roman maghrébin. Non seulement elle devint vite l’ouvrage de référence en la matière, c’était notre bible quand, jeunes étudiants, nous débarquions à Rabat début des années 70, mais elle indiquait aussi la méthodologie de Khatibi chercheur : une société ne s’appréhende pas seulement à travers des statistiques et des courbes. La fiction pouvait aussi servir à l’intelligence du monde. La mémoire tatouée, son premier roman en est la parfaite illustration. La narration romanesque comme prolongement de la réflexion sociale par d’autres moyens. C’est toute une carrière qui se décline ainsi : des ouvrages pointus sur la sémiologie des formes symboliques dominantes allant de l’art graphique, au tapis… à la « blessure du nom propre », ou encore des ouvrages de réflexion politique (le Maghreb…) alternant avec des pauses littéraires où Khatibi voyage dans le temps, dans des récits historiques ou dans l’espace pour cerner les errances du cœur et du regard du côté, par exemple, de Stockholm…Khatibi ne cachait pas sa fascination pour les civilisations de la distance et du repli sur soi : l’Asie, le Japon en particulier, et les pays scandinaves. Car l’altérité est un autre fondement de sa démarche, l’autre comme horizon de pensée, comme destin inscrit dans le quotidien. Au total, une ouvre plurielle, diversifiée, tonique pour le cœur et l’esprit, qui est en fait « le même livre », celui d’un homme moderne, tolérant, ouvert ; celui d’une voix qui nous manque déjà. Adieu cher ami et cher maître.
Abdelkébir Khatibi n’est plus. Il est décédé hier à Rabat à l’âge de 71 ans. On le savait malade ; début février il bénéficia de la haute sollicitude royale pour avoir les soins adéquats. On comptait aussi, pour dépasser cet épisode, sur son esprit de résistance à l’image du « lutteur de classes à la manière taôiste » ; mais son grand cœur a fini par céder pour ouvrir la voie au repos du guerrier : Khatibi fut en effet un infatigable travailleur. Serein, discret mais toujours profond, pertinent, élégant et perspicace. Comment le définir ? Sociologue ? Chercheur ? Romancier ? Poète ? Critique d’art ?...Tout cela est un peu plus. Il était en fait un intellectuel dans le sens qu’il nous avait précisé dans un entretien, à savoir l’intellectuel perçu comme le capteur des signes. Et Khatibi en fut un au sens fort et noble du mot. Il était à l’écoute des signes, attentif aux vibrations des ondes…il était un sismographe en état de veille permanent, au diapason de l’esprit du temps. Il était un grand amoureux de signes. Il aimait à sa manière : il nous apprenait par exemple à aimer notre pays mais toujours d’un amour critique. Sur cette voie, il forgea –le mot n’est pas approprié- il sculpta plutôt un joli concept, L’AIMANCE. L’aimance, c’est le paradigme fondateur de la pensée khatibienne ; la clé d’une œuvre en perpétuel mouvement transcendant les genres et les frontières académiques.
Et pourtant tout avait commencé sous le signe d’une appartenance affichée à la science des sciences, la sociologie. Comme un bon enfant de son siècle, Khatibi choisit la voie des sciences sociales. Il était né à Eljadida en 1938. La Deauville du Maroc. Il rejoint Paris pour poursuivre ses études supérieures à La Sorbonne. Sa thèse de recherche en dit déjà long sur sa démarche future : elle portait en effet sur le roman maghrébin. Non seulement elle devint vite l’ouvrage de référence en la matière, c’était notre bible quand, jeunes étudiants, nous débarquions à Rabat début des années 70, mais elle indiquait aussi la méthodologie de Khatibi chercheur : une société ne s’appréhende pas seulement à travers des statistiques et des courbes. La fiction pouvait aussi servir à l’intelligence du monde. La mémoire tatouée, son premier roman en est la parfaite illustration. La narration romanesque comme prolongement de la réflexion sociale par d’autres moyens. C’est toute une carrière qui se décline ainsi : des ouvrages pointus sur la sémiologie des formes symboliques dominantes allant de l’art graphique, au tapis… à la « blessure du nom propre », ou encore des ouvrages de réflexion politique (le Maghreb…) alternant avec des pauses littéraires où Khatibi voyage dans le temps, dans des récits historiques ou dans l’espace pour cerner les errances du cœur et du regard du côté, par exemple, de Stockholm…Khatibi ne cachait pas sa fascination pour les civilisations de la distance et du repli sur soi : l’Asie, le Japon en particulier, et les pays scandinaves. Car l’altérité est un autre fondement de sa démarche, l’autre comme horizon de pensée, comme destin inscrit dans le quotidien. Au total, une ouvre plurielle, diversifiée, tonique pour le cœur et l’esprit, qui est en fait « le même livre », celui d’un homme moderne, tolérant, ouvert ; celui d’une voix qui nous manque déjà. Adieu cher ami et cher maître.
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