mercredi 2 juillet 2014

Ousfour et la génération des pionniers


Notre amie l'école (1956) Larbi Benchekroun


Le fils maudit de Mohamed Ousfour voit le jour officiellement en 1958. C’est le film qui peut être approché comme l’aboutissement technique d’une longue période pratiquement artisanale où la passion de Ousfour pour le cinéma n’était assouvie qu’en tournant et en montrant ses bouts de pellicules qu’il filmait, montait et projetait tout seul. Cet autodidacte, issu des plaines de Abda, arrivé à Casablanca dans le sillage des grandes immigrations des années trente et quarante…va découvrir le cinéma grâce à ses contacts avec les milieux européens. Dans son livre, consacré à ce cinéaste original, Ahmed Fertat rapporte des faits saillants d’une biographie marquée par la passion du cinéma. C’est le Casablanca  des quartiers européens de l’époque coloniale qui ouvrit à Ousfour cette caverne magique qu’il tenta de dompter et de redéployer auprès des siens. On apprend ainsi qu’il a été vendeur de journaux, apprentis dans plusieurs métiers. A 15 ans il déniche une petite caméra qui lui permit de « filmer » des aventures dans une forêt de la banlieue casablancaise (la série des sketches Le fils de la jungle). En 1946, il entame un tournant dans sa carrière en participant à des productions internationales tournées au Maroc (Henry Hataway, Orson Welles…) où il fit preuve d’ingéniosité en, matière de trucages et d’effets spéciaux… avec les moyens de bord. Il continue à tourner des sketches qu’il montre dans des salles de fortunes. En 1956, il put enfin acquérir une caméra 16 mm qui lui a permis de tourner, de monter son film phare Le fils maudit (qu’il doubla des années plus tard).
En fait c’est un moyen métrage d’une quarantaine de minutes ; le récit cette fois est d’inspiration réaliste ; c’est un mélodrame sur les la mauvaise éducation qui se transforme en malédiction qui s’abat sur une famille dont le père alcoolique voit le fils devenir « une enfant maudit ». De belles trouvailles émaillent ce récit sur le plan visuel. Devenu criminel, le fils est présenté devant les tribunaux où il est condamné à mort ; l’exécution est filmée d’une manière artisanale mais donnant lieu à une mise en image originale,  jouant notamment  sur la figure de l’ombre. 
Le film obtiendra son visa de sortie en 1958 mais Ousfour va désormais s’investir dans le côté technique mettant son savoir faire acquis d’une manière autonome au service de différentes productions ; travaillant notamment comme preneur d’images avec de nombreux cinéastes marocains. Ahmed Bouanani lui rendra un vibrant hommage dans ce sens. Il faudra attendre 1970, pour le voir revenir à la réalisation, avec son premier vrai long métrage, Le trésor infernal (un film de 72 minutes cette fois).
 Entre temps, le paysage cinématographique marocain connaîtra d’autres nouveautés  structurantes avec l’année 1958 (et les suivantes) ; celle-ci voit l’entrée en lice de la première génération des cinéastes marocains ayant une formation académique et professionnelle spécialisé dans le cinéma.
Il y a ainsi Larbi Benchekroun (1930 – 1984) auteur dès 1956 du premier film marocain dans des normes professionnelles (Notre amie l’école, 1956). Il a suivi une formation à Rome et différents stages de perfectionnement à Paris. Rentré au Maroc, il est l’auteur d’une douzaine de films documentaires et/ou docufiction : un exercice très en vogue à l’époque consiste à dramatiser un sujet à connotation sociale dans le but d’assurer au message une réception idéale. Je cite en  outre des noms comme Larbi Bennai, lauréat de l’Idhec en 1954. Il sera présent avec l’équipe du CCM qui va filmer les festivités officielles et populaires du retour de feu Mohammed V. il s’investit beaucoup dans la formation et la gestion administrative au sein du CCM ; il fera partie des cinéastes qui vont marquer cette décennies avec de nombreux documentaires , des fictions notamment Nuits andalouses de 1963 qui recevra un accueil chaleureux de la part des plus hautes autorités du pays de l’époque et représentera le Maroc dans des festivals et des manifestations dédiées à la culture marocaine.
Mohamed Afifi, un autre lauréat de l’Idhec promotion de l’année 1957. Il rejoint le CCM où il s’occupe en particulier du département des actualités filmées qui va être, en  l’absence de la télévision à l’époque, la véritable mémoire visuelle du pays, accumulant des images qui sont aujourd’hui un véritable patrimoine. Afifi va réaliser des documentaires, s’occuper pendant une période  du théâtre de Casablanca avant de s’investir dans la distribution et des activités privées…Latif Lahlou, Mohamed Lotfi rejoindront ce premier groupe vers la fin des années 50 (lauréats de l’IDHEC en 1959). Les années qui suivent verront au fur et à mesure l’arrivée de nouveaux cinéastes, lauréats de l’école parisienne.
Ils rejoignent presque automatiquement le CCM ; ils n’ont pas le choix en l’absence d’un contexte professionnel privé. Le Maroc était un pays de grande consommation de cinéma. Activité urbaine par excellence, elle fournissait aux nouvelles couches sociales un divertissement et une ouverture sur le monde. Le Maroc comptait près de 200 salles de cinéma et les chiffres de fréquentation connaissaient une courbe ascendante
L’Etat par contre avait besoin de cadres professionnels pour véhiculer une image, d’abord celle officielle des activités du personnel public…et une image didactique contribuant au discours identitaire nationaliste de cette période de transition. Nous sommes au début des années 60, l’Etat se donne aussi pour rôle de former des citoyens, de les initier aux taches du monde moderne et de leur faire découvrir leur pays dans le temps, en revisitant le riche patrimoine issu d’une civilisation séculaire et plurielle dans la perspective de conforter la thèse développée par les nationalistes à savoir que le colonialisme ne fut qu’une parenthèse qu’il s’agit de fermer pour reprendre la flambeau (sic) mais aussi présenter le pays comme espace géographique avec la diversité des paysages et des sites
Les jeunes cinéastes, cadres d’un organisme public, le CCM, vont s’atteler à cette tâche, mettant leur caméra, les techniques du montage apprises au service de cette entreprise qui s’exprime à travers des commandes.



Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...