mardi 8 juillet 2014

Brève histoire du cinéma marocain

Les années 60 : l’Etat producteur
Une bouchée de pain, Larbi Bennani, 1960
La situation du paysage cinématographique marocain, à l’orée des années 60, présente plusieurs atouts. Nous avons déjà soulevé l’immense héritage constitué par la filmographie dite coloniale et qui devrait en toute légitimité figurer dans le patrimoine cinématographique national, héritage auquel nous avons adjoint toute la filmographie réalisée par des cinéastes français qui ont continué d’exercer plusieurs années après le départ officiel de l’administration française, avec une figure emblématique qui mérite d’être réhabilitée, celle de Jean Fléchet.
Outre donc cette dimension positive née de l’histoire « l’industrie cinématographique » marocaine disposait de plusieurs autres facteurs favorables à une réelle activité cinématographique. Je cite notamment :
L’existence d’une infrastructure réelle et expérimentée à la fois administrative avec un outil d’intervention étatique efficace qu’est le Centre cinématographie marocain (CCM) en exercice déjà depuis les années 40, et une infrastructure technique avec les Studios Soussi.
Le Maroc disposait en outre, sur le plan des ressources humaines, d’abord d’un immense vivier de comédiens, issus de la fameuse troupe de la jeunesse et des sports. Comédiens pétris de talents qui ont fait leurs preuves sur les planches ou dans le théâtre radiophonique et qui ont gouté au cinéma avec les nombreux films-sketches réalisés dans le tournant des années 54 à 57 par le courant du cinéma que nous avions qualifié de cinéma post colonial (Je peux citer des films comme Le poulet, Pauvre Assou, Le trésor caché…). Un cinéma qui a permis au cinéma de se populariser dans le « bled profond » grâce à la caravane cinématographique et à des films adaptés de contes populaires et portés par des comédiens bénéficiant déjà d’une popularité à l’instar de Bachir Laalej, Salim Berrada, Hammadi Ammor, Khadija Jamal…De véritables vedettes nationales que rejoindront très vite des jeunes loups comme Larbi Doghmi, Hassan Skali, Tayeb Seddeki…qui mettra la main au métier en participant également à la mise en scène. Ahmed Tayeb Laalej contribuera également à l’adaptation de scénarii et à l’écriture des dialogues.
Ressources humaines, ensuite avec l’arrivée de jeunes marocains formés dans des écoles de cinéma (en particulier et en premier lieu l’IDHEC à Paris) : c’est le cas de Larbi Bennani lauréat de l’IDHEC en 1954, Mohamed Afifi lauréat de 1957 ; Latif, Lahlou ; Mohamed Lotfi ; Abdelaziz Ramdani…Ces premiers professionnels rejoindront le CCM et constitueront la première vague de cinéastes marocains et signeront leurs premiers films : Notre amie l’école (1956) de Larbi Benchekroun, il n’a pas fait l’IDHEC mais il a été formé à Rome et à paris ; De chair et d’acier (1958) de Mohamed Afifi ; La nuit des bêtes (1960) de Abdelaziz Ramdani ; Pour une bouchée de pain (1960) de Larbi Bennani…Ce sont des films, format cour, produits par le CCM, en général avec la collaboration d’institution étatique : le ministère de la santé, le ministère de l’éducation nationale ou des établissements publics comme les offices de mise en valeur agricole ; l’Office de la pêche…Le nouvel Etat avait besoin d’une image nationale pour promouvoir sa politique (il n’y avait pas de télévision à l’époque) , mais aussi comme vecteur de promotion des valeurs d’appartenance nationale et de citoyenneté. Les films étaient donc des productions de commande, mais les jeunes cinéastes en faisaient également un moyen d’expression artistique.
Enregistrer, témoigner, découvrir…ce programme va se décliner à travers la profusion de documentaires produits à cette époque. D’où ma conclusion principale : cette décennie 1958-1969 sera perçue a posteriori comme l’âge d’or du documentaire marocain. Sur cette période, on peut comptabiliser, à partir des documents publiés par le CCM, 69 films. Ce sont en général des courts métrages dont la durée peut atteindre parfois 45 minutes avec une dominante du genre documentaire. Beaucoup de films relevaient également de ce que l’on pourrait qualifier de docu-fiction. Dans le film Pour Une bouchée de pain de Larbi Bennani 1960), produit en collaboration avec le ministère de la santé et le secrétariat au commerce et à l’industrie,, la visée était d’encourager les Marocains à consommer du poisson, notamment les sardines dont le Maroc était un grand exportateur à l’époque ; on passe alors par le procédé de la fiction sur la base d’une historiette qui met en scène un pauvre citoyen (Tayeb Seddiki) que sa femme (Fatéma Regragui)  incite, en lui jetant un panier au visage, à sortir chercher une bouchée de pain. Une fois dehors, il se retrouve devant une campagne officielle de promotion de ‘’la sardine, véritable richesse nationale’’ ; la fiction est neutralisée au bénéfice de la visée didactique (le film nous montre les différentes étapes qui marquent cette industrie florissante dans certains ports du royaume). On est dans la posture « le cinéma, école du soir », pour reprendre un concept forgé dans les années 60 par le cinéaste sénégalais Ousmane Sembene.
C’est une tendance phare de la production cinématographique des années 60. Les films inscrits dans un processus institutionnel avaient pour objectif de faire connaître, d’inciter et de promouvoir. On peut cependant dégager trois grandes tendances dans le documentaire de cette époque :
Un cinéma de vulgarisation institutionnelle, relevant de la promotion d’un service et ou d’une action du jeune Etat.
Un cinéma de tendance ethnographique visant à réhabiliter l’histoire du pays, son architecture et sa culture.
Un cinéma relevant du documentaire de création, prenant son appui sur le réel pour interroger l’outil d’expression lui-même.


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