mardi 8 juillet 2014

les années 60 du cinéma marocain

Impasse d’un cinéma officiel
Vaincre pour vivre, M. Tazi et A. Mesnaoui, 1968

Une production prolifique en matières de courts métrages, avec des tendances diverses, et les premières tentatives de production « officielle » pour le long métrage de fiction : tels pourraient être le titre générique de la décennie des années 60 du siècle précédent. Mais avant de prolonger cet aspect du paysage cinématographique des origines, il est utile, dans le cadre de cette approche descriptive, de rappeler quel était le rapport des Marocains avec le cinéma à travers le prise de l’exploitation. Et les chiffres sont éloquents…
Entre 1958 et 1969, qui est le syntagme temporel de cette première décennie, le nombre de spectateurs est passé de 18 176 972 entrées à 26 620 796 entrées ; c’est-à-dire qu’à la fin des années 60 le cinéma attirait trois plus le nombre de la population marocaine, de l’époque, ou en d’autres termes, 26 fois le nombre d’entrée aujourd’hui. La courbe des entrées va connaître un mouvement ascendant, sauf en deux dates qui connaîtront sinon un repli du mois un tassement ; c’est le cas de l’année 1965 et de l’année 1967 : et ce n’est pas un hasard. L’année 1965 a été marquée par les émeutes de mars et l’année 1967 a été l’année de la guerre dite des « six jours » entre arabes et israéliens au moyen orient !
Pour le parc des salles de cinéma, en 1958, le Maroc comptait 156 salles de cinéma et en 1969, il en comptait 239. Avec, pour la seule ville de Casablanca une cinquantaine de salles, c’est-à-dire plus que le nombre d’écrans dont dispose le parc d’exploitation aujourd’hui.
C’est dans ce contexte où le cinéma était une composante de l’urbanité que des jeunes marocains ont décidé d’embrasser une carrière de cinéma, sur la base d’études dans les écoles les plus prisées du monde occidental. Une fois, les premières promotions rentrées au pays, cela s’est répercuté sur la qualité de la production. Celle-ci quoique relevant d’une commande étatique, leur offrait le moyen de mettre à l’épreuve leurs avoir faire ; un savoir faire souvent porté par une vision du monde, nombre de cinéastes était en effet membres ou compagnons de route du parti communiste marocain et par  une ambition artistique, celle d’ancrer le langage cinématographique dans une démarche de réappropriation critique et nourrie des éléments de la culture nationale et populaire. 
Une indication majeure dans ce sens, le dossier consacré au cinéma marocain par la revue Souffles. Revue de recherche culturelle et artistique, fondée par des écrivains et des peintres engagés sur la voie de la modernité, s’intéresse en effet au cinéma dès son numéro 2 en 1966.  Il faut souligner que la revue comptait déjà parmi ses collaborateurs, un cinéaste poète, Ahmed Bouanani. Il est très présent dans le dossier qui se compose notamment, d’un document historique, c’est le mémorandum adressé à S.M le Roi en date du premier juillet 1965 ; du texte du rapport envoyé au ministre de l’information le 20 juillet 1965 ;  d’une table ronde, animée par le directeur de la revue Abdellatif Laabi avec la participation, de Ahmed Bouanani, de Abdellah Zerouali, M.A Tazi, M. Sekkat, Driss Karim…le dossier est complété par un index des cinéastes marocains où nous avons compté19 entrées, c’est-à-dire 19 cinéastes présentés d’une manière succincte.
Cette période donnera à la jeune cinématographie marocaine, une filmographie qui apparaît aujourd’hui comme l’âge d’or d’un format le court métrage et d’un genre, le documentaire.
On peut rapidement citer des films qui ont marqué ces années et qui constituent des repères dans la mémoire cinéphile. Dans la tendance socio-ethnographique on peut citer Sine Agafaye de Latif Lahlou (1967) ; pour le documentaire de création, le poème visuel de Moahmed Afifi, retour en Agadir (1967), Six et douze de Rechiche, Bouanani, Tazi…on ne peut omettre dans ce rapide panorama, les premières tentatives de fiction signée Larbi Bennani, Abdelaziz Ramdani et Ahmed Mesnaoui ; c’est le cas de Nuits andalouses (1963) de Larbi Bennani qui connaîtra une brillante carrière internationale, porté par les autorités de l’époque comme symbole d’un cinéma qui exprime une culture.
L’Etat va effectivement va mener une tentative de donner un coup d’accélérateur à un cinéma inscrit dans le sillage de la grande consommation en produisant des longs métrages. Sous la houlette du ministre de l’information de l’époque, un festival de cinéma méditerranéen a été programmé pour l’année 1968. Pour être présent avec des films dans les normes et les standards internationaux, le CCM va s’atteler à la production de deux longs métrages de fiction : Quand mûrissent les dates de A. Ramdani et L. Bennani et Vaincre pour vivre de A. Mesnaoui et M. Tazi. En termes de tournage, Quand mûrissent les dates fut le premier film marocain à être produit dans les normes professionnelles ; mais en termes de sortie c’est Vaincre pour vivre qui lui damera le pion et sera à juste titre le premier long métrage marocain de fiction. C’est une question technique qui explique cette situation, tourné en premier mais en couleurs, Quand mûrissent les dates fut envoyé en Europe pour son développement alors que Vaincre pour vivre tourné en noir et blanc fut terminé sur place et parvint ainsi à sortir le premier.
C’est donc en 1968 que Vaincre pour vivre ouvre la voie à la production cinématographique de long métrage. Né d’une volonté officielle de marquer la présence du pays, il ne fut dans son approche artistique animé d’aucune ambition spécifique. Il est écrit dans la perspective d’offrir un modèle local du mélodrame en vogue dans les salles commerciales : le récit reprend le schéma canonique du héros issu d’un milieu modeste animé du désir de devenir musicien ; il est appelé à affronter des obstacles à commencer par le père, à quitter le giron familial vers la grande ville, pour finalement rencontrer la femme de sa vie (riche forcément) et la gloire. Pour ce faire, on invita un chanteur, Abdelouhab Doukkali pour incarner le personnage de Karim, le premier jeune héros de notre cinématographie moderne.

Cette voie imposée d’en haut, ne fera pas long feu. La première velléité d’un cinéma commercial né dans le giron de l’Etat connaîtra un cuisant échec, public et critique. Le cinéma marocain, notamment à partir des années 70, optera pour d’autres choix qui feront sa spécificité et signeront sa marque sur la base de son indépendance quitte à forcer plus tard un soutien public. 

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