mercredi 2 juillet 2014

Jean Flécher et le cinéma post colonial

Brahim ou le collier de beignets


L’histoire du cinéma au Maroc peut-être abordée d’un point de vue méthodologique de deux approches : l’histoire du cinéma au Maroc, c’est-à-dire comment se situe le rapport du Maroc à une invention qui a marqué la fin du 19ème siècle ou encore l’histoire du cinéma marocain proprement dit ; celle-ci est plus courte que celle-là. La première épouse carrément la naissance du cinéma mondial et elle a abouti au Maroc à ce qu’il a été convenu « le cinéma colonial », voir, à ce propos notre article précédent.
Cependant pour le cinéma marocain et son histoire il y a débat. On a, par exemple, décidé en 2008 de célébrer le cinquantenaire du cinéma marocain, faisant de 1958, un repère de référence.
1958 est une année qui peut constituer, en effet,  une date de référence dans le tracé chronologique du cinéma marocain. Elle voit, par exemple, la nomination du premier marocain à la tête du CCM, Ahmed Belhachmi qui succède au français Henri Menjaud, cinéaste qui avait signé entre autres, Mogador (1951). Et c’est l’année qui voit la sortie du film de Mohamed Ousfour, Le fils maudit, considéré et fêté en 2008 comme le premier film réalisé par un Marocain.
Ahmed Belhachmi (né en 1927) est un lauréat de l’IDHEC (1949-1951) et considéré à ce titre comme le premier marocain quia rejoint la prestigieuse école parisienne (la 7ème promotion). Ce fin lettré, très friand de théâtre pour lequel il a beaucoup écrit sous un pseudonyme, a travaillé dans l’administration, a côtoyé de grands cinéastes ; il a été l’assistant de P.P. Pasoloini dans Œdipe Roi. Sa filmographie se réduit à un film qu’il a écrit et réalisé, un long métrage de fiction, Le violon, interprété par Mohamed Said Afifi considéré comme le premier long métrage marocain (1959), hélas disparu dans des circonstances indéterminées ; on parle de copie détruite dans les anciens locaux des Studios   Souissi de Rabat.
C’est l’année qui voit aussi la projection du film Le fils de Mohamed Ousfour, moyen métrage de cet autodidacte qui est considéré aujourd’hui par la profession (voir la filmographie générale éditée par le CCM) comme le premier film marocain. Soit. Mais il y a une question qui mérite d’être posée ; si « le cinéma colonial » a démarré en 1919 avec Mektoub et il a en principe cessé d’exister juridiquement avec l’indépendance du Maroc fin 1955 début 1956 et si le cinéma marocain est né officiellement en 1958 avec Ousfour, comment va-t-on définir le cinéma qui a été produit et en grande quantités entre 1955 et 1958 ? Je propose de le définir par « cinéma post colonial ».
J’entends par cinéma « post-colonial » tous les films réalisés par des cinéastes français qui ont continué à exercer et à travailler au Maroc, plusieurs années après l’indépendance. Ce cinéma aussi, comme le cinéma colonial, a ses titres majeurs et ses cinéastes emblématiques. Il s’agit par exemple de Henri Jacques, Michel Clarence, Serge Debecque, Richard Chenay et principalement de Jean Fléchet. Lauréat de l’IDHEC en 1952, il arrive au Maroc où il travaille dans des productions diversifiées jusqu’au début des années 60 quand il rentre en France, pour finalement « se spécialiser » dans les cinémas des régions et des hameaux. Sa filmographie marocaine se distingue fondamentalement de l’esthétique du film colonial ; Jean Fléchet, dans ses fictions notamment, adopte  une approche foncièrement culturaliste, adaptant des récits et des sketches autochtones, dirigeant pour les mettre en images des comédiens marocains. Parmi ses productions qui ont rencontré un grand succès populaire, grâce notamment aux services de la caravane cinématographique, je cite Le poulet (1954) avec Bachir Laalej, Salim Berrada, Tayeb Seddiki…Pauvre Assou (1954), Le trésor caché (1954)…un travail qu’il prolonge y compris après la fin officielle du protectorat. Il signe ainsi un des films majeurs de cette période, Brahim ou le collier de beignets….où nous retrouvons les ingrédients qui ont marqué ses précédentes fictions, en se basant sur le travail au niveau du scénario et des dialogues sur l’apport d’auteurs marocains mais aussi en l’inscrivant dans l’idéologie de l’époque, celle d’une nation qui aspire à reconstituer son identité et à chercher son décollage. L’ensemble est servi par une image d’inspiration néoréaliste, une bonne direction d’acteurs dont feu Hassan Skalli qui marque le film d’une empreinte indélébile.
Brahim ou le collier de beignets de Jean Fléchet est une production du CCM de 1957, d’une durée de 45 minutes. Il a eu un destin exceptionnel puisqu’il fut le premier film à représenter le Maroc dans une manifestation cinématographique internationale d’envergure. Le hasard y est pour beaucoup, le ministère de l’information ayant reçu du Festival de Berlin une invitation à la participation du Royaume au prestigieux festival. Il se trouve alors que Fléchet était non seulement disponible mais avait un scénario prêt ; il l’adapta aux nouvelles circonstances, car il fallait faire vite. Le film fut alors réalisé et a eu une participation plus qu’honorable à Berlin…Avec un bon accueil public et critique…sauf une réaction mitigée de la part de l’ambassadeur de France qui a boycotté la réception officielle qui a fait suite à la projection du film…une manière de signifier qu’il n’appréciait pas le fait ne parle nulle part de « la mission civilisatrice » de la France au Maroc. Un argument supplémentaire qui plaide en faveur de la réhabilitation de ce beau film et à l’intégrer à la filmographie marocaine,  à l’instar de tout un patrimoine cinématographique de cette époque.


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