vendredi 19 août 2016

Mon hommage à Mohamed Khan

Mohamed Khan
Rupture et continuité dans le cinéma égyptien




Avec Mohamed Khan à Tétouan en 1988
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Il y a quelques semaines  (déjà !), le cinéma égyptien perdait l’une de ses figures les plus emblématiques, le réalisateur Mohamed Khan. Emblématique dans le sens où Khan a incarné – avec d’autres de ses collègues-  par ses films et par les choix esthétiques qui les portaient les mutations profondes qui ont marqué définitivement le cinéma égyptien dès le début des années 1980. Ce pakistanais par l’origine de son père et qui n’a finalement obtenu la nationalité égyptienne que quelques années (2014) à peine avant son décès a su brillamment transposer cette « égyptianité » qui a constitué la force du cinéma égyptien de la grande époque, illustré par des titres mythiques et des cinéastes illustres.
Qu’est-ce qui a caractérisé le cinéma de Khan et comment il a su exprimer le changement  esthétique et culturel qu’il va enclencher au sein du cinéma égyptien.  Certains critiques égyptiens ont taxé ce mouvement, amorcé dès la fin des années 1970,  de « nouvelle vague » et de « nouveau réalisme » en se référant aux films de Khairi Bichara, Daoud Abd Sayed, Atef Tayeb, Ashraf Fahmi, Said Marzouk et bien sûr de Mohamed Khan, l’un des plus prolifiques de cette génération. Il me semble pour ma part qu’il s’agit davantage d’un mouvemet porté par des ruptures et beaucoup de continuité. Au lieu d’une nouvelle vague, il s’agit plutôt d’un renouvellement du cinéma dominant. En termes de continuité, Khan a su prolonger et fructifier les principales caractéristiques du grand cinéma égyptien, celui de Chahine, Abou Seif, Taoufik Salah. A savoir la prépondérance du scénario et le système des stars. Mohamed Khan ne se récalme pas du cinéma d’auteur au sens européen du mot ou comme on l’entend au Maroc avec les Ferahati, Bensaïdi… Les films de Mohamed Khan proviennent d’abord de scripts professionnels écrits par des maîtres des scénarii égyptiens. Comme par exemple Bachir Dick que l’on retrouve derrière de nombreux films réalisés par les cinéastes de cette génération. De grandes stars, un scénario inscrit dans une continuité dramatique et littéraire cela renvoie à la grande tradition de l’âge d’or du cinéma égyptien. La rupture, je la situe pour ma part dans le rapport à l’espace. Le cinéma des années 1950 et 1960, celui du réalisme à la Salah Abou Seif et Taoufik Salah reste un cinéma de studio avec un dispositif quasi hollywoodien, incarné par un lieu emblématique, la place, Al Hara, là où convergent les ingrédients du drame. Avec le cinéma de Mohamed Khan, l’espace cinématographique va devenir plus éclaté et la caméra va investir la rue d’une manière organique. J’ai eu l’occasion de discuter avec Mohamed Khan à Tétouan en 1988, en lui faisant cette remarque sur l’omniprésence de la rue, et des extérieurs urbains dans ses films, il m’avait répondu avec son célèbre humour que les techniciens l’appellent en Egypte « Mohamed chaouari3, Mohamed street », tellement il aimait tourner dans des espaces réels. Dans l’ouverture de son film culte « Porté disparu » (1984), une note précède le générique et précise « si les événements et les personnages sont fictifs, les lieux sont authentiques ». Cela résume toute sa démarche. Une conception du cinéma qui vient en quelque sorte répondre aux mutations sociologiques de l’Egypte de Sadat : l’ouverture sur l’économie du marché a complètement métamorphosé le paysage urbain. Le nouveau cinéma égyptien a ainsi perdu le repère spatial qui a constitué  le paradigme narratif fondateur de tout un cinéma du réalisme social, à savoir Alhara. A cela s’ajoute l’émergence de nouvelles couches sociales que le cinéma de Mohamed Khan a su très bien capter et dramatiser. Dans La femme d’un homme important (1987), il signe la fin du romantisme et l’entrée dans l’âge de la cupidité et du capitalisme sauvage. Toujours dans Porté disparu, le fonctionnaire, incarné par son acteur fétiche, l’excellent Yahya Alfakharani, traverse quotidiennement un paysage urbain  en ruine. La caméra de Khan s’attarde sur des images de délabrement généralisé doublées de celles de l’invasion de signes de ruralités avec notamment la récurrence du plan du troupeau de chèvres…. Le  personnage confronté à la crise du logement dans cette ville monstre, obstacle à son mariage, est acculé à revenir la campagne. Une métaphore du nouveau scénario égyptien. Les dramaturges doivent désormais rechercher d’autres sources d’inspiration face à la faillite d’un modèle urbain porté par la petite bourgeoisie que Naguib Mahfouz à transposer dans ses romans et ses scénarii.



Je peux ainsi dire que le cinéma de Mohamed Khan est le cinéma du scénario post-Naguib Mahfouz. Avec ses changements de décors, il passe de la grande maison trdaitionnelle  à l’appartement exigu des nouveaux quartiers périphériques. Il passe des héros confrontés à l’histoire, à l’anti-héros qui se débat dans la crise existentielle. En somme, on passe d’un cinéma destiné au grand écran à celui formaté pour la télévision et la vidéo. Dans ce sens, Mohamed Kahn fut l’incarnation éloquente de l’esprit (de l’imaginaire) de son temps.

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