Une
figure absente du cinéma marocain
Avons-nous
besoin de héros ?
Il y a quelques
jours, j’ai été invité à faire partie d’un comité de visionnage de
« films » « produits » et « réalisés » par des
élèves d’établissements secondaires dans le cadre d’une semaine du film
éducatif organisée par une des mairies de Casablanca. Je n’ai pas perdu mon
temps. J’ai été d’abord frappé par la fraîcheur du jeu des apprentis comédiens,
leur grande aisance devant la caméra et une certaine audace à reproduire le
réel dans sa violence physique et symbolique. Mais ce qui m’a le plus frappé
au-delà de toute appréciation technique et artistique des films présentés (dans
tous les cas de figure, ce n’était pas pour moi un enjeu primordial) c’est la
grande similitude dans les thématiques abordés, dans l’expression du rapport à
la société…et dans ce sens les cinéastes en herbe sont dans une parfaite
symbiose avec l’univers représenté par le cinéma de leurs ainés professionnels.
La même ambiance de noirceur, de pessimisme social, d’enfermement et de
désespoir traversent les âges pour proposer une même vision d’une société en
crise. A Tanger, pour le festival national du film, comme pour ce concours du
film scolaire, l’imaginaire collectif de notre société est reproduit à travers
la récurrence de certaines figures, de certains thèmes et motifs. Comme au
niveau de la structure dramatique globale. Par exemple, l’absence du personnage
qui se transforme dans un sens positifs, l’absence de happy end. Et pour tout
dire, ici et là, chez les amateurs comme chez les professionnels, j’ai relevé
le même paradigme au niveau de la dramaturgie cinématographique, absence de
héros, et prédominance d’anti-héros.
Dans un article
célèbre et qui remonte au début des années 1980, le critique de cinéma tunisien
(devenu cinéaste depuis) Férid Boughedir avait fait un constat qui semble
toujours d’actualité : »la garnde majorité des films marocains
semblent refléter une vision nettement pessimiste, au moins sur un point :
tous leurs héros sont des loosers, des perdants, d’éternelles victimes… ».
Hier comme
aujourd’hui, le cinéma marocain ne propose-t-il que des anti-héros ?
Avons-nous besoin de héros ?
Toutes les sociétés
ont connu et ont produit des héros. Cela répond à un besoin où se croisent la
psychologie, la sociologie et l’anthropologie. Les racines du mot grec
« herôs » signifient « demi-dieu », Hercule par exemple. En
latin, on revoie à la baisse la définition et héros signifie « homme ou
femme de grande valeur ». la référence en la matière étant Ulysse. Mais on
reste dans la légende. Reste à transposer cette approche historique dans notre
contexte socio-culturel…avec les références adéquates. On peut élargir la
conception en disant que le héros est celui qui va quelque part, là où les
autres ont peur d’aller…
Il n’en reste pas moins que le besoin de héros
comme le désir de fiction sont des paradigmes universels. Depuis la nuit des
temps, les groupes humains ont créé des héros pour y projeter leurs idéaux et valeurs ; et surtout
pour donner sens à leur existence. Les héros permettent de faire résonner nos
angoisses et nos espoirs dans des récits fondateurs. Le psychologue Jung
affirme que « le héros appartient aux images archétypes présentes dans
notre inconscient ».
Dans notre culture
contemporaine, le cinéma est un formidable révélateur de la vision du héros et
de ses différentes variantes exprimant l’imaginaire d’une société donnée. Le
cinéma américain peut passer pour un modèle dans la construction du héros
conquérant. Non seulement, il exprime une conception du temps et de l’espace
que l’Amérique se donne en cohérence avec son histoire faite autour du mythe de
la frontière mais il permet également à l’Américain spectateur de cinéma
d’entrer dans un processus d’identification.
Les travaux de la sociologie de la réception (Jauss notamment) mettent en avant
la dimension positive du phénomène d’identification comme horizon de toute
expérience esthétique.
Que propose le cinéma
marocain à son spectateur natif ? quelles sont les figures héroïques
produites par le cinéma marocain ? Le constat est négatif, le cinéma
marocain est un cinéma de la distanciation avec pour ses films phares une
esthétique postmoderne qui privilégie la figure de l’anti-héros, privilégiant
la marginalité, l’absence de projet éthique et n’hésitant pas à privilégier la
fin au détriment des moyens pour l’atteindre. Tout processus d’identification
est écrasé comme velléité bloquant de surcroit le processus de catharsis
inhérent à toute grande œuvre artistique. Ce n’est pas un hasard si les réseaux
sociaux se réveillent chaque matin avec
de nouveaux héros créés de toute pièce par des consommateurs en manque. Tant
pis si ce sont des bulles qui s’évaporent et s’effacent de la mémoire dure
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