Victoria
Abril « le cinéma est une thérapie »
le cinéma à l'ombre d'Ibn Khaldoun
La célèbre avenue Habib
Bourguiba, adjuvant majeur des grands événements de la Tunisie contemporaine, notamment autour
du fameux "dégage", grouille
de monde en ce week automnal ; certes le déploiement sécuritaire est
impressionnant mais les tunisois –hommes et femmes- investissent tous les lieux
de convivialité et de spectacles ; ce qui fait des journées
cinématographiques de Carthage l’un des festivals les plus ancrés dans son
environnement. « Le public est la grande force des JCC » me dit un
vieux compagnon du festival arabo-africain.
Samedi déjà, la cérémonie
d’ouverture avait donné le ton. Très sobre et très cinéphile ; elle a été
marquée par l’hommage rendu à de nombreuses personnalités avec une guest star
de choix l’espagnole Victoria Abril. Elle a égayé la soirée par ses répliques spontanées.
« Le cinéma dit-elle est une thérapie contre les maux du siècle ;
elle devrait dépendre non pas du ministère de la culture mais du ministère de
la santé ». Elle cite sa propre expérience en racontant comment l’entrée
dans une fiction lui sauvé parfois la vie. « Il n’y a pas plus simple que
faire un film : une feuille de papier et un crayon ; le plus
important est de raconter une histoire. La technique suivra ». Interrogée
par l’animateur sur le Classico espagnol
qui se déroulait au même moment, elle n’a pas voulu dire où penchait son cœur.
Peut-être, était-elle déjà au courant de la raclée que subissait le club royal
de la capitale. Deux mots revenaient dans les discours prononcés : liberté
et tolérance. La Tunisie post Ben Ali se construit une identité blessée et
bafouillée pendant des décennies. La programmation de ces 26èmes JCC va dans le
même sens, celui de l’hymne à la vie. Première remarque : le nombre
impressionnant de projections, plus d’un millier, à travers tout le pays.
La compétition officielle a démarré
avec un premier programme spécial court métrage. Le module présenté est
globalement de bonne facture. Le film Algérien Almouja de Omar Belaksmi dresse
un tableau accablant de l’Algérie actuelle à travers le regard d’un journaliste
algérien qui rentre de France pour une enquête sur le monde ouvrier et se
retrouve face à l’apathie et au défaitisme d’une élite intellectuelle qui a
abdiqué. Le jeune marocain Eliass Alfariss est allé filmer les vagues et les
falaises de Taghazoute où un jeune enfant découvre la mer et ses mystères. La
caractéristique principale de la participation marocaine dans la plupart des
sections est l’arrivée de nouvelles générations, notamment avec des
courtmétragistes issus d’écoles de cinéma. C’est de bon augure en attendant
l’entrée de leurs (jeunes) aînés, Ayouch et Mouftakir en compétition
officielle, jeudi prochain.
Séance d’hommage émouvante
dimanche matin en souvenir de la romancière et cinéaste algérienne Assia
Djebbar. Occasion de reparler d’un cinéma, notamment La Nouba des femmes du
mont Chenoua (1976), en rupture radicale avec le cinéma idéologique dominant
dans l’Algérie dite révolutionnaire. Le film écrit quasiment d’un point de vue
personnel celui d’une femme sur le destin des femmes qui est celui d’une nation
a bouleversé les schémas établis et provoqué l’ire des gardiens du dogme. Assia
Djebbar quittera l’Algérie, blessée et déçue. Mais son film continue à parler
pour elle comme un chef d’œuvre à redécouvrir sans cesse.
Deux grands films de la
journée. Le fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes (Grand prix à Cannes) vu dans
le cadre de la très riche section Cinéma du monde et Madame courage le très
attendu nouveau film de l’Algérien Merzak Allouach, présenté dans le cadre de
la compétition officielle.
Le fils de Saul aborde un sujet
qui n’a pas cessé de susciter polémique et controverses : comment filmer
l’horreur de la solution finale nazie ; comment aborder d’une manière
artistique l’inimaginable horreur des fours crématoires sans verser dans le
voyeurisme, la banalisation ou l’idéologisation. Le pari de Nemes (réussi)
était un véritable enjeu cinématographique : comment filmer le non
filmable. L’esthétique ici, est fondamentalement une éthique. Dans le camp d’Auschwitz,
Saul est un prisonnier juif du camp ; il est assigné à aider les nazis
dans leur travail d’extermination avant d’être lui-même liquidé. Il découvre le
corps d’un enfant encore en vie et décide de lui assurer une mort digne avec
sépulture et rituel sacré…Nemes filme son sujet en apnée ; il nous emmène
dans une véritable immersion dans cet univers, la caméra collant pratiquement
au corps de Saul : le gros plan du visage est un vecteur narratif ;
le spectateur est « embarqué » mais sans voyeurisme ni sensualisme ;
l’horreur est là, suggérée, abordée, vécue en somme ; tout le temps en
hors champ ; avec une bande son créant un hors champ sonore élargissant
l’espace enserré où évolue Saul.
Madame Courage, le film de Merzak Allouach prolonge son travail de
radioscopie cinématographique de l’univers périurbain de la société
algérienne. Attention, le titre est un
leurre ; ce n’est pas un clin d’œil à Brecht : c’est tout simplement
le nom que donnent les drogués à une substance très forte qui relève davantage
de poison. Le film nous transpose dans la banlieue pauvre de Mostaganem pour
suivre le quotidien de Omar jeune délinquant qui vit de vols à l’arrachée et
dont le père dit-il est mort « du pétrole » puisqu’il était ouvrier à
Hassi Messoud. Allusion certaine au paradoxe algérien pays riche à la
population pauvre. On le suit caméra à l’épaule dans ses aventures qui se
compliquent quand il tombe amoureux d’une jeune lycéenne. On quitte
provisoirement le sociologique pour des séquences romantiques et quasi oniriques. Mais ce n’est
pas suffisant pour donner plus d’ampleur au film qui reste le moins abouti
d’une filmographie marquée par de vrais chefs d’œuvre.
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