dimanche 19 avril 2015

Femmes hors la loi de Mohamed Aboudi

Documentaire et critique sociale


Le film a été présenté la première fois au Maroc lors du festival national du film à Tanger en 2012. C’est une production européenne, le jeune cinéaste étant un résident en Finlande. Le film aborde frontalement un sujet social très fort, celui des mères célibataires. Sauf que Hind est une mère pas comme les autres. Ayant eu une grossesse hors mariage, elle a été chassée de chez elle, une famille paysanne dans la région de Ouazzane ; région que le cinéaste connaît très bien. Livrée à elle-même, elle mène une vie faite de fragilité et d’exclusion avec son jeune amant, lui-même ayant des démêlées avec la justice. N’ayant pas de papier officielle, elle ne peut ni officialiser son mariage, ni donner une identité légale à sa fille. C’est le cercle infernal. Pour subvenir aux besoins de cette petite famille « hors la loi », elle rejoint une troupe de danse populaire qui fait la tournée des fêtes dans les villages. Drogue, prostitution, harcèlement…la vie de Hind est un long fleuve de tracas et de labeurs. Elle ne baisse pas le bras. Même si, elle donne l’impression de tourner en rond.
« Femmes hors la loi » aborde cette vie brisée avec les moyens du cinéma. Ce n’est pas un reportage pressé sur un cas de société. C’est un film qui prend son temps pour suivre Hind sur plusieurs mois. Il pose à l’observateur une série de problématiques, inhérentes à la fois à son contenu et au traitement qu’il lui a réservé. Qu’est ce qui fait que nous sommes en présence d’un film taxé d’emblée de « documentaire » ? Quels sont les frontières fiction-documentaire que le film transgresse au bénéfice de sa construction globale ? Peut-on parler à son égard de film de critique sociale ?
D’où vient d’abord « la documentariste » du film ? Au-delà de la présentation institutionnelle, il est, en effet, produit comme tel, le film est caractérisé dans son écriture par ce que Barthes appelle la collusion directe entre le signifiant et le référent. En l’occurrence la figure centrale du « récit », Hind, est la même que Hind de la vie de tous les jours ; de même que tout le système de personnages qui évoluent autour d’elle. En d’autres termes le signifié filmique et le référent extra-filmique ne font qu’un. Sur le plan cinématographique strict, le recours au regard caméra, voire dans certaines scènes l’allusion directe à l’équipe de tournage (« had nass » dit une des protagonistes du film, en regardant du côté de « ces gens », l’équipe de tournage !) vient interrompre toute velléité de fiction.
Deuxième volet du débat autour du film concerne son ancrage dans le sillage de que l’on pourrait qualifier du cinéma de la critique sociale. Posons d’emblée comme postulat que tout film, nonobstant son inscription dans un genre, fiction versus documentaire, est social dans la mesure où il donne à voir des aspects d’une société donnée, à une époque donnée. Le social se distinguerait alors dans un film alors par le degré et non par la nature. Quant à la fonction de critique sociale elle transparaît dans des séquences, des épisodes du film (voir la scène mythique de Charlot face à la chaîne de montage dans Les temps modernes).  Dans le documentaire qui nous intéresse cette critique sociale passe par la mise à nu d’une réalité souvent escamotée dans le discours social dominant.  C’est ce que certains théoriciens appelle « le niveau de clarification » : donner à voir ce que la société traditionnellement cherche à cacher.  Montrer une certaine misère ne suffit pas ; il s’agit aussi de démonter les mécanismes qui font son invisibilité. C’est flagrant avec le film de El Abboudi, le drame des mères célibataires relèvent du non-dit social ; évacuée dans une sorte de hors champ. La force du film est de braquer la caméra vers ce hors champ pour le ramener vers le champ de notre vision.

On remarquera que le film le fit avec empathie ; il filme son héroïne dans des différents moments en captant aussi ces éclairs d’amour, de beauté ou de poésie qui rayonnent dans sa triste trajectoire. Il ne propose pas de solution, ce n’est pas un film politique. Il est même porté par une structure dramatique circulaire, Hind revient toujours à son point de départ.  Il dresse un constat, en décrivant avec lucidité une réalité sociale. Une lucidité qui confine au pessimisme. Mais c’est un pessimisme qui aiguise la réflexion à l’instar de la formule gramscienne du « pessimisme de l’intelligence ».

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