Documentaire et critique sociale
Le film a été présenté la première fois au Maroc lors du
festival national du film à Tanger en 2012. C’est une production européenne, le
jeune cinéaste étant un résident en Finlande. Le film aborde frontalement un
sujet social très fort, celui des mères célibataires. Sauf que Hind est une
mère pas comme les autres. Ayant eu une grossesse hors mariage, elle a été
chassée de chez elle, une famille paysanne dans la région de Ouazzane ;
région que le cinéaste connaît très bien. Livrée à elle-même, elle mène une vie
faite de fragilité et d’exclusion avec son jeune amant, lui-même ayant des
démêlées avec la justice. N’ayant pas de papier officielle, elle ne peut ni
officialiser son mariage, ni donner une identité légale à sa fille. C’est le
cercle infernal. Pour subvenir aux besoins de cette petite famille « hors
la loi », elle rejoint une troupe de danse populaire qui fait la tournée
des fêtes dans les villages. Drogue, prostitution, harcèlement…la vie de Hind
est un long fleuve de tracas et de labeurs. Elle ne baisse pas le bras. Même
si, elle donne l’impression de tourner en rond.
« Femmes hors la loi » aborde cette vie brisée avec
les moyens du cinéma. Ce n’est pas un reportage pressé sur un cas de société.
C’est un film qui prend son temps pour suivre Hind sur plusieurs mois. Il pose
à l’observateur une série de problématiques, inhérentes à la fois à son contenu
et au traitement qu’il lui a réservé. Qu’est ce qui fait que nous sommes en
présence d’un film taxé d’emblée de « documentaire » ? Quels
sont les frontières fiction-documentaire que le film transgresse au bénéfice de
sa construction globale ? Peut-on parler à son égard de film de critique
sociale ?
D’où vient d’abord « la documentariste » du
film ? Au-delà de la présentation institutionnelle, il est, en effet,
produit comme tel, le film est caractérisé dans son écriture par ce que Barthes
appelle la collusion directe entre le signifiant et le référent. En l’occurrence
la figure centrale du « récit », Hind, est la même que Hind de la vie
de tous les jours ; de même que tout le système de personnages qui
évoluent autour d’elle. En d’autres termes le signifié filmique et le référent
extra-filmique ne font qu’un. Sur le plan cinématographique strict, le recours
au regard caméra, voire dans certaines scènes l’allusion directe à l’équipe de
tournage (« had nass » dit une des protagonistes du film, en
regardant du côté de « ces gens », l’équipe de tournage !) vient
interrompre toute velléité de fiction.
Deuxième volet du débat autour du film concerne son ancrage
dans le sillage de que l’on pourrait qualifier du cinéma de la critique
sociale. Posons d’emblée comme postulat que tout film, nonobstant son
inscription dans un genre, fiction versus documentaire, est social dans la
mesure où il donne à voir des aspects d’une société donnée, à une époque
donnée. Le social se distinguerait alors dans un film alors par le degré et non
par la nature. Quant à la fonction de critique sociale elle transparaît dans
des séquences, des épisodes du film (voir la scène mythique de Charlot face à
la chaîne de montage dans Les temps modernes).
Dans le documentaire qui nous intéresse cette critique sociale passe par
la mise à nu d’une réalité souvent escamotée dans le discours social dominant. C’est ce que certains théoriciens appelle
« le niveau de clarification » : donner à voir ce que la société
traditionnellement cherche à cacher. Montrer une certaine misère ne
suffit pas ; il s’agit aussi de démonter les mécanismes qui font son
invisibilité. C’est flagrant avec le film de El Abboudi, le drame des mères
célibataires relèvent du non-dit social ; évacuée dans une sorte de hors
champ. La force du film est de braquer la caméra vers ce hors champ pour le
ramener vers le champ de notre vision.
On remarquera que le film le fit avec empathie ; il
filme son héroïne dans des différents moments en captant aussi ces éclairs
d’amour, de beauté ou de poésie qui rayonnent dans sa triste trajectoire. Il ne
propose pas de solution, ce n’est pas un film politique. Il est même porté par
une structure dramatique circulaire, Hind revient toujours à son point de
départ. Il dresse un constat, en
décrivant avec lucidité une réalité sociale. Une lucidité qui confine au
pessimisme. Mais c’est un pessimisme qui aiguise la réflexion à l’instar de la
formule gramscienne du « pessimisme de l’intelligence ».
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