Un conte à rebours
Nous naissons tous vieux; l'enfance, est-ce un commencement ou c'est déjà la fin? Au-delà de la clause de style, le nouveau film de David Fincher nous offre une variation cinématographique, disons-le d'emblée, ravissante pour le regard et l'esprit, sur cette thématique récurrente qu'est le travail du temps sur la matière, le corps, aussi bien dans des productions littéraires que cinématographiques. D'ailleurs le film de Fincher est une adaptation d'une courte nouvelle de l'écrivain américain Francis Scott Fitzgerald (publiée en 1922). Un premier angle de lecture du film pourrait être une analyse des métamorphoses intervenues lors du transfert du signe scriptural au signe iconique. On se rend compte alors qu'adapter est plus que trahir. Le film en effet puise dans la nouvelle son argument narratif de base, un enfant qui naît vieux et qui remonte le temps dans le sens inverse, il grandit en rajeunissant, pour ensuite se doter de sa propre dramaturgie qui nous offre in fine une œuvre romanesque qui place Fincher dans la lignée des grands classiques de Hollywood. Le dispositif narratif est tout aussi original. Si dans la nouvelle de Fitzgerald, le récit est pris en charge pratiquement du point de vue du père, le récit filmique se développe à partir de la voix off celle de la fille, Daisy, que rencontra Benjamin et bouleversa sa vie pour devenir sa femme. On la découvre vielle, sur un lit d'hôpital livrant à sa fille, Caroline, l'ultime secret de sa vie; lui demandant de lire le carnet et les lettres d'un certain Benjamin Button, la jeune fille finit alors par apprendre la vérité sur son propre père. Le tout dans la ville d'Orléans sur laquelle souffle l'ouragan Catrina. Le film, en effet, est riche de références et d'allusions. Il évolue sur une temporalité qui va du début du siècle précédent jusqu'aux années 90. L'histoire est livrée en blocs narratifs dont certains sont des monuments de grand cinéma. D'abord, la séquence d'ouverture qui met en place l'élément déclencheur: le contexte de l'époque est restitué à travers la fête de la ville pour l'inauguration de la nouvelle gare et fêter la fin de la guerre. Mais élément inédit: l'horloge qui est l'œuvre d'art majeure de la nouvelle gare tourne à l'envers et le maître d'œuvre, l'artiste qui en est le créateur refuse de la réparer; les aiguilles continueront à aller dans l'autre sens en hommage à la mémoire des victimes de la guerre; c'est dans ce contexte que Button un bourgeois de la ville apprend la naissance de son enfant. Se rendant à l'hôpital, il découvre que sa femme est morte en ayant accouché d'un enfant à la physionomie particulière: un bébé dont le corps est celui d'un homme de quatre-vingts ans. Il le prend dans ses bras mais pour tout de suite s'en débarrasser. Le petit Benjamin va découvrir une nouvelle famille dans une maison pour vieillards où il trouvera une mère adoptive, occasion pour le film de proposer un généreux projet d'altérité : Benjamin étant lui-même un cas atypique, il est adopté par une famille noire et évoluera dans un milieu où la mort ne cesse de roder. Son apprentissage se fera dans la douleur. L'apprentissage de la fragilité comme destin de l'humanité, de l'inéluctable travail de sape auquel se livre le temps. Mais où il rencontrera l'amour et prendra conscience de sa différence extrême. On le suit quand il quitte sa mère adoptive pour aller à la découverte de la vie poussé par l'énergie d'un corps qui se renforce au fur et à mesure du passage du temps. Deux séquences se démarquent dans cet édifice romanesque; celle où Benjamin vit une idylle avec l'épouse d'un consul britannique. Une rencontre faite de mouvement des corps et des sens dans le cadre d'un hôtel qui offre un huis clos d'une grande densité. Celle ensuite de l'accident parisien de son amie où le montage nous livre deux versions de l'accident pour mettre en exergue la fatalité de nos gestes quotidiens: il suffit d'un retard, d'une omission pour donner un autre cours aux événements de la vie. Cela est restitué d'une manière cinématographique éloquente.
Pour les cinéphiles, Fincher, c'est Seven où il y avait déjà Brad Pitt (aux côtés d'un inoubliable Morgan Freeman), c'est aussi Zodiac (magnifique structure narrative) et c'est désormais aussi Benjamin Button, un film long, plus de deux heures trente mais c'est un grand film non pas seulement par la prouesse technique (un logiciel spécial a permis de garder les signes physiques de Brad Pitt dans le long processus de décomposition / recomposition du visage du personnage), mais par sa double dimension esthétique et humaniste.
Nous naissons tous vieux; l'enfance, est-ce un commencement ou c'est déjà la fin? Au-delà de la clause de style, le nouveau film de David Fincher nous offre une variation cinématographique, disons-le d'emblée, ravissante pour le regard et l'esprit, sur cette thématique récurrente qu'est le travail du temps sur la matière, le corps, aussi bien dans des productions littéraires que cinématographiques. D'ailleurs le film de Fincher est une adaptation d'une courte nouvelle de l'écrivain américain Francis Scott Fitzgerald (publiée en 1922). Un premier angle de lecture du film pourrait être une analyse des métamorphoses intervenues lors du transfert du signe scriptural au signe iconique. On se rend compte alors qu'adapter est plus que trahir. Le film en effet puise dans la nouvelle son argument narratif de base, un enfant qui naît vieux et qui remonte le temps dans le sens inverse, il grandit en rajeunissant, pour ensuite se doter de sa propre dramaturgie qui nous offre in fine une œuvre romanesque qui place Fincher dans la lignée des grands classiques de Hollywood. Le dispositif narratif est tout aussi original. Si dans la nouvelle de Fitzgerald, le récit est pris en charge pratiquement du point de vue du père, le récit filmique se développe à partir de la voix off celle de la fille, Daisy, que rencontra Benjamin et bouleversa sa vie pour devenir sa femme. On la découvre vielle, sur un lit d'hôpital livrant à sa fille, Caroline, l'ultime secret de sa vie; lui demandant de lire le carnet et les lettres d'un certain Benjamin Button, la jeune fille finit alors par apprendre la vérité sur son propre père. Le tout dans la ville d'Orléans sur laquelle souffle l'ouragan Catrina. Le film, en effet, est riche de références et d'allusions. Il évolue sur une temporalité qui va du début du siècle précédent jusqu'aux années 90. L'histoire est livrée en blocs narratifs dont certains sont des monuments de grand cinéma. D'abord, la séquence d'ouverture qui met en place l'élément déclencheur: le contexte de l'époque est restitué à travers la fête de la ville pour l'inauguration de la nouvelle gare et fêter la fin de la guerre. Mais élément inédit: l'horloge qui est l'œuvre d'art majeure de la nouvelle gare tourne à l'envers et le maître d'œuvre, l'artiste qui en est le créateur refuse de la réparer; les aiguilles continueront à aller dans l'autre sens en hommage à la mémoire des victimes de la guerre; c'est dans ce contexte que Button un bourgeois de la ville apprend la naissance de son enfant. Se rendant à l'hôpital, il découvre que sa femme est morte en ayant accouché d'un enfant à la physionomie particulière: un bébé dont le corps est celui d'un homme de quatre-vingts ans. Il le prend dans ses bras mais pour tout de suite s'en débarrasser. Le petit Benjamin va découvrir une nouvelle famille dans une maison pour vieillards où il trouvera une mère adoptive, occasion pour le film de proposer un généreux projet d'altérité : Benjamin étant lui-même un cas atypique, il est adopté par une famille noire et évoluera dans un milieu où la mort ne cesse de roder. Son apprentissage se fera dans la douleur. L'apprentissage de la fragilité comme destin de l'humanité, de l'inéluctable travail de sape auquel se livre le temps. Mais où il rencontrera l'amour et prendra conscience de sa différence extrême. On le suit quand il quitte sa mère adoptive pour aller à la découverte de la vie poussé par l'énergie d'un corps qui se renforce au fur et à mesure du passage du temps. Deux séquences se démarquent dans cet édifice romanesque; celle où Benjamin vit une idylle avec l'épouse d'un consul britannique. Une rencontre faite de mouvement des corps et des sens dans le cadre d'un hôtel qui offre un huis clos d'une grande densité. Celle ensuite de l'accident parisien de son amie où le montage nous livre deux versions de l'accident pour mettre en exergue la fatalité de nos gestes quotidiens: il suffit d'un retard, d'une omission pour donner un autre cours aux événements de la vie. Cela est restitué d'une manière cinématographique éloquente.
Pour les cinéphiles, Fincher, c'est Seven où il y avait déjà Brad Pitt (aux côtés d'un inoubliable Morgan Freeman), c'est aussi Zodiac (magnifique structure narrative) et c'est désormais aussi Benjamin Button, un film long, plus de deux heures trente mais c'est un grand film non pas seulement par la prouesse technique (un logiciel spécial a permis de garder les signes physiques de Brad Pitt dans le long processus de décomposition / recomposition du visage du personnage), mais par sa double dimension esthétique et humaniste.
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