mercredi 22 octobre 2008

ayam à Beyrouth

Beyrouth étouffe. Il fait beau et lourd…la pollution y est pour beaucoup: c'est la ville certainement qui compte le plus de voiture au…mètre carré! Et c'est par expérience la ville qui vit un embouteillage permanent. Le samedi, vers minuit, par exemple, il était impossible de circuler près de la place des Martyrs non loin de l'Imposant immeuble qui abrite les locaux du journal Annahar. Des voitures – et les grosses de préférence – à ne pas finir, occupent l'espace urbain. On était obligé de faire demi-tour. Je pose la question à un ami journaliste; il me répond que les Libanais ne savent pas ce qu'est un service public de transport en commun; "mais, ajoute-t-il, on choisit aussi de se déplacer en voiture par snobisme, une façon de montrer qu'on existe" et paraître passe désormais à Beyrouth par les énormes 4- 4 qui bloquent la vie urbaine.
Dès l'aéroport, la file des voitures est interminable. Je communique avec le chauffeur de taxi en français; je déteste en effet cette manière des moyens orientaux à ramener les Maghrébins, et surtout les Marocains, à user de leur dialecte qui n'a que peu à voir avec l'arabe classique. Mais je suis plutôt concentré sur les signes urbains qui me parlent éloquemment du pays et des gens. On traverse une partie de la Dahié (la banlieue) le fief du Hizbollah. On se croirait à Téhéran. Un immense édifice est traversé par une banderole où l'on peut lire "cadeau de la municipalité de Téhéran…"Je vais m'apercevoir, en fait, très vite qu'il n'y a pas un seul mais plusieurs Beyrouth. Une dizaine de minutes plus tard, le centre de Beyrouth avec la mosquée, Mohamed Alamine, flambant neuf qui vient juste d'être inauguré en grande pompe avec moult discours sur la nécessaire tolérance.
Mon hôtel se trouve au quartier Alhamra: mon cœur bat la chamade : je suis au cœur de ce qui a été Beyrouth ouest de l'époque terrible de la guerre civile (1975- 1990). Trop de lectures, de films, de récits de souvenirs d'amis… passent par là. Tous les noms que j'entends ou je vois me restituent ce triste et peut-être héroïque temps perdu. Au loin un immense édifice à l'allure délabré, c'est l'ancien Hilton abandonné comme vestige de cette période. La voiture se rapproche, comme un travelling de caméra: les murs portent encore les traces de l'impact des balles. Au moment où tout le centre de la ville a été réaménagé selon une autre configuration au détriment de la mémoire blessée de la ville, ce triste monument apparaît comme le seul témoin debout d'une tragédie. D'une tragédie, l'autre. Au détour d'une avenue, nous tombons sur la place qui a vu mourir, emporté par l'explosion d'une voiture piégée, RafiK Hariri. C'est tout simplement inouï! A des centaines de mètres, les dégâts énormes sont encore visibles.
Mais le Liban et les Libanais te sortent rapidement de ce long flash-back. Ils sont complètement versés dans le présent, abordent la vie avec boulimie, font la fête tout le temps comme pour assouvir une soif. "On apprécie la vie du point de vue de celui qui a goûté à la mort" me dit une grande dame du théâtre libanais, très familière de notre pays. Cet amour de la vie, se traduit aussi heureusement par un grand amour de cinéma. Et le cinéma revient avec force au Liban. Première bonne nouvelle: chez eux les salles ouvrent et ne ferment pas. Ils ont adopté avec succès la formule des multiplexes.
La cérémonie d'ouverture de la semaine Ayam Beyrouth acinimaia se déroule à l'Empire au quartier Achrafieh. Le public est nombreux, chaleureux et cinéphile. Caractéristique qui frappe d'emblée: ayam Beyrouth est purement une organisation féminine. Des femmes à tous les échelons à commencer par la dynamique Eliane, maîtresse d'œuvre de toute l'opération. Elle organise ces journées pour défendre cette année le thème du Cinéma d'auteur dans le monde arabe. Le Maroc va en être la vedette. D'abord par son expérience originale d'aide publique au cinéma. Elle fera l'objet d'une grande attention lors de la journée consacrée à la thématique du soutien au cinéma d'auteur. Mais c'est tout le Maroc qui sort grandi avec la projection du film "Nos lieux interdits" premier long métrage documentaire de Leila Kilani. Un film qui restitue des moments d'intense émotion en mettant au centre de son récit les témoignages des victimes des années de plomb lors des audiences organisées par l'instance équité et réconciliation. Tous les présents de la salle ont salué ce travail magnifique. Les Libanais en particuliers retenaient à peine leur émotion: "quand est-ce que à notre tour on va commencer à faire des films comme ça?".
Croyez-moi, le cinéma nous donne cet immense bonheur: la fierté d'être marocain.

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