mardi 13 juin 2017

Le plus beau métier du monde: critique de cinéma







A Nour Eddine Saïl

C’est le plus beau métier du monde ! un critique de cinéma. N’est-ce pas lui qui est payé pour voir des films ! Quelle chance et quel bonheur !
Encore faut-il se mettre d’accord sur qui ? Quoi ? Comment ? Et Où ?
Il y a toujours autour du cinéma une activité multiple. Produire, réaliser, consommer en sont les grands titres. C’est ce qui permet de parler d’une industrie cinématographique avec ses dime

nsions multiples y compris et surtout commerciales. Mais, si le cinéma est « par ailleurs une industrie », dixit André Malraux, le cinéma est aussi un phénomène de société, une activité artistique et culturelle. Il est alors une composante du discours social générant et produisant des discours.
L’histoire du cinéma nous apprend aussi qu’un cinéma n’existe pas en termes techniques et en donnes chiffrées, uniquement ; c’est aussi tout le discours d’escorte qui l’accompagne et lui donne un ancrage social, voire une légitimité culturelle par le biais de la critique cinématographique.
Parler d’un film est alors une forme de socialisation culturelle qui passe par plusieurs niveaux. Y compris, ce degré zéro qui émane du spectateur du samedi soir et qui exprime un point de vue à sa sortie de la salle. D’ailleurs, le film lui-même, est structuré pour générer un discours, une attitude du public. Christian Metz notait dans son ouvrage sur la psychanalyse et le cinéma que « de tout film émane un murmure destiné à l’oreille du spectateur : aimez-moi, aimez-moi ! »…beaucoup de spectateurs n’hésitent pas à y aller…à répondre à cet appel
Parler d’un film, pour moi, est une forme de prolongement du plaisir. La manière varie alors. C’est un processus social et historique.
 Il y a la phase du spectateur du samedi soir qui reste au niveau de l’impression et de l’expression du désir. C’est un moment que je ne renie pas et qui me semble sain et naturel. Il y a ensuite la phase cinéphile qui confronte un film avec un autre ; une image avec une autre. Le cadre idéal de ce moment fut pour ma génération le ciné-club ; là, où nous avons appris de passer alors de la consommation à la réception.
La troisième phase est celle de l’élaboration d’un discours construit et pensé à partir et autour du discours du film. Après la consommationla réception, on est là dans le moment de la lecture filmique, de la critique cinématographique. Le support varie ; souvent on passe de l’oralité à la trace écrite. C’est une démarche qui obéit à des critères certes, mais portée par des valeurs et des principes ; cela se traduit chez moi par un rapport au film, au cinéma inscrit dans une logique de modestie, d’aimance (merci Khatibi pour ce beau mot/concept) et de plaisir permanent. Pour dire en un mot, je rejoins Jean Douchet quand il définit la critique de cinéma comme « l’art d’aimer ». C’est l’intitulé de son texte (Les cahiers du cinéma, 126/1961) où il précise davantage en liant cette activité à deux moteurs que je trouve non seulement pertinents mais essentiels : passion et lucidité. « La critique est l’art d’aimer, écrit-il. Elle est le fruit d’une passion qui ne se laisse pas dévorer par elle-même, mais aspire à une vigilante lucidité »





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Dans cet élan, la tentation est forte de porter ce discours sur le film, sur le cinéma très loin en le confrontant à des attentes, à des grilles de lecture inspirées des sciences humaines, au sens large. Il y a eu dans notre parcours initiatique un moment phare celui du tout politique. Nous interrogions le cinéma, les films à partir d’un positionnement idéologique, politique. Le film Mille et une mains de Souheil Benbarka que nous disséquions dans les ciné-clubs de la fin des années 1970 à l’aune de notre engagement politique. Des assauts que la force du film, sa consistance artistique, sa richesse multiple…supportaient comme des vagues d’une tempête passagère. Le film est resté dans nos mémoires au-delà des slogans de conjoncture.
Ce fut passionnant et enrichissant, ouvrant la voie à un rapport de forces largement favorable aujourd’hui à l’esthétique et au cinéma dans sa polysémie et sa diversité. Des approches qui ont gagné en recul, en humilité et en modestie intellectuelle et qui se déploient à partir de plateformes diversifiés, souples et évolutives. Loin de tout dogme.
Tout récemment, je découvris avec plaisir comment l’apport d’un philosophe, logicien de renommée internationale, Ali Benmakhlouf, peut contribuer à mieux affiner nos lectures de films, à leur donner une assise épistémologique consistante. Développant une réflexion pleine d’intelligence, nourrie des apports de Jacques Rancière (sur l’esthétique) et de Michel Foucault (Surveiller et punir), il revisite une formule tant galvaudée dans le discours dominant chez une certaine critique, celle du visible et de l’invisible au cinéma. Pour Benmakhlouf l’enjeu pour le cinéma est de traquer, capter l’étrange derrière le familier. Justement au cinéma, il s’agit de rendre visible le visible comme le développe Foucault pour la philosophie. Ali Benmakhlouf explicite davantage en nous résumant la thèse de Foucault : le rôle de la philosophie n’est pas de découvrir ce qui est caché, mais de rendre visible précisément ce qui est…visible. Faire apparaître ce qui est proche, si lié à nous-mêmes que pour cette raison justement il passe inaperçu…sauf quand le cinéma le capte et nous le restitue. Le cinéma rejoignant ainsi la philosophie : faire voir ce que nous voyons. Je cite deux films qui font dans ce « rendre visible, le visible ». d’abord Winter sleep de Nuri Bigle Ceylan (palme d’or) : film sur le quotidien, dans sa trivialité : un gamin en colère qui casse une vitre de voiture, de longues scènes de palabre familial ou entre villageois…Soudain on voit  ce que nous survolions : le désarroi, la détresse ou la mélancolie. L’autre film est Al ayel (le gosse de Tanger, 2005) de Moumen Smihi : la scène d’ouverture, une scène de déjeuner frugal, un plan fixe, des paroles échangées…et tout le temps pour voir ce que nous voyions tous les jours sans « un arrêt sur image ».  Sans voir, en somme. « Il faut un phrasé de l’œil » nous dit Benmakhlouf pour voir tant de choses dans la vie qui ne sont pas visibles. « Le cinéma, par son montage est l’un de ses phrasés ». A lire in « C’est de l’art », Ali Benmakhlouf, DK éditions, 2011).
Une autre réflexion éclairante pour la pratique de la critique cinématographique sous les auspices de la pensée. Celle de Gilles Deleuze qui nous invite à placer la barre très haut : le cinéma est « pensée » et la critique doit contribuer non seulement à mettre au jour cette pensée mais à fonctionner elle-même comme pensée avec ses propres concepts qui induisent une pensée spécifique. « Pour Deleuze, la critique cinématographique ne doit pas se contenter de décrire des films ou de faire l’histoire du cinéma, mais, en créant des formes et des concepts qui ne conviennent qu’au cinéma, elle crée, d’une certaine façon, du cinéma ». L’apport de ses deux ouvrages L’image-mouvement et L’image-temps est dans ce sens une contribution fondatrice. Voir la synthèse qu’on fait Suzanne Hème de Lacotte (Mouvements, 27/28, 2003).
Certes, dans notre approche, qui distingue le discours critique du discours théorique et analytique, la référence à Deleuze se fait d’une manière implicite ; comme une nappe phréatique qui assure au texte sa fraîcheur, sa fertilité et lui garantit un plus de légitimité. Ou tout simplement nous éclairer le chemin d’accès au faisceau de signes qui émane d’un film. Expérience vécue : Dans ma lecture –critique du film de Tala Hadid, The narrow frame of midnight (2015), le passage par Gilles Deleuze s’avérait incontournable pour saisir non pas un sens définitif, ce n’était pas d’ailleurs la finalité du film, mais le cheminement d’une « pensée » qui s’est faite cinéma, ou d’un cinéma qui se fait « pensée ». Le film de Tala Hadid ne pouvait être appréhendé, discuté qu’à partir duconcept de L’image temps : j’étais en face d’un « récit » qui refusait « les situations globalisantes », closes et qui ne proposait pas de héros ou de personnages exceptionnels. Le montage n’obéissait pas au principe hollywoodien de la causalité. La construction de l’espace n’était pas dictée par une logique narrative classique ; si ce n’est le souci de capter des moments, des apparitions. Deleuze alors : « « l’ellipse cesse d’être un mode de récit, une manière dont on va d’une action à une situation partiellement dévoilée : elle appartient à la situation même, et la réalité est lacunaire autant que dispersive ». Les personnages se meuvent dans une errance qui est une balade, concept deleuzien employée déjà pour parler des personnages de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Nourrie par ses références la critique se révèle être une entreprise créatrice.
Un ancrage théorique qui permet de dialoguer avec une nouvelle génération pour qui l’essentiel ne se situe plus dans « ce qui est dit », ni « dans ce qui est raconté » mais dans ce que le cinéma a à dire de lui-même (Faouzi Bensaïdi, Hicham Lasri, Hakim Belabbes).Et sur cette voie Deleuze est un formidable compagnon.
Une autre variante d’approche des films, que je situerai au-delà de la critique (un en-deçà serait la critique d’humeur : « j’aime », « j’aime pas ») est fourni par le documentaire exceptionnelle Room 237 de Rodney Ascher, présenté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2012. Il constitue pour moi l’archétype de ce que serait la critique du cinéma. Le film est consacré à décrypter les signes cachés, le non-dit du film culte du genre d’horreur Shining de Stanley Kubrick. Le film a sa sortie en 1981 avait suscité un engouement de la part des critiques et des chercheurs qui ont tenté de décrypter ses messages cachés, ce que Kubrick avait voulu vraiment dire. Pour ce faire, l’auteur du documentaire donne la parole à des érudits, inconditionnels de Kubrick pour se livrer à leur exercice de lecture. Parmi les interprétations que j’ai beaucoup appréciées celle qui voit dans le film une description du génocide des indiens d’Amérique. Tous les signes qui traversent le film, (tout est intentionnel chez Kubrick), notamment les boîtes de levure, portant le nom de calumet et que l’on voit à l’arrière-plan des personnages, sont décryptés dans ce sens. Le sang qui envahit les couloirs du célèbre hôtel où se déroule le récit est le sang des indiens qui vient des profondeurs/des fondements car l’hôtel a été construit sur un ancien cimetière indien.  Un autre lecteur/interprète voit dans le film une description de l’holocauste en jouant sur la répétition du chiffre «42 » qui renvoie à l’année 1942, date de démarrage des camps de concentration dans l’Allemagne nazie. Le climax de cette critique-délirium est atteint avec cet érudit qui superpose deux projections simultanées du film, l’une à l’envers, l’autre à l’endroit. Un délice intellectuel et cinéphile. L’œuvre du maître se métamorphise devant nous en fonction des approches des uns et des autres. Le rêve quoi ! Pourquoi je dis que le documentaire, Room 237, est en soi l’archétype de ce que devrait être la critique cinématographique ? Parce qu’il apporte une réponse concrète à un handicap majeur dont souffre la critique cinématographique, celui de l’impossible citation. La critique littéraire peut citer un extrait du poème, du roman, de la nouvelle qu’elle aborde.  La critique cinématographique ne peut citer son objet ; elle ne peut que le paraphraser, le décrire. En parler avec un langage qui n’est pas le sien. Une critique cinématographique, c’est un texte sur un texte absent. Ou cité virtuellement.  Room 237 ne souffre pas de cet handicap car le film parle du film par le même signifiant cinématographique ; sans empreinter/emprunter un autre medium.
Mais l’image qui se dégage aujourd’hui est celle de la crise. La fonction critique traverse une période de profondes mutations. Situation inhérente, en partie, aux mutations qui touchent son champ d’intervention : le numérique a introduit de nouvelles donnes dans la conception même du cinéma et dans la médiation des discours sur le cinéma. Le dernier né étant la critique instantanée via les réseaux sociaux ; dès le générique de fin on envoie des tweets ou autres posts qui changent en fonction de l’humeur et des réactions et qui varient avec le nombre de « j’aime » récolté.
Au Maroc, la situation est encore plus confuse. Du fait même de l’absence d’un background historique. Si nous sommes partis du postulat que c’est le plus beau métier du monde, c’est pour mieux souligner son paradoxe. Le décalage. Car il n’y a pas / il n’y a pas eu de critique cinématographique au Maroc. Au sens professionnel s’entend.
En effet, être critique de cinéma, dans le contexte d’une cinématographie avancée, c’est être payé pour voir des films ! Quelle veine ! Il dispose d’une carte professionnelle lui permettant d’accéder aux salles, d’être invité aux festivals et de bénéficier des outils nécessaires (tout un matériel promotionnel, y compris souvent une copie numérique du film...) pour faire son travail. Ailleurs, chez nous par exemple, c’est plutôt la boutade de Truffaut qui convient pour décrire le paysage : « Chacun à deux métiers…le sien et critique de cinéma » (à lire in Les films de ma vie, Flammarion, 1975, page 19.)
Hypothèse que je vérifie, chaque matin ou à chaque occasion : mon voisin de palier, mon coiffeur…entre deux remarques sur la dernière prestation du Raja, on glisse des flèches sur tel ou tel film marocain. Le festival de Marrakech en a fourni un autre exemple grandeur nature. C’est peut-être l’un des rares festivals au monde à se voir bénéficier chez lui d’une « couverture » par une armada de gens qui n’ont que des rapports de bon voisinage avec le cinéma…En fait, par des gens qui ont leur propre métier…et à l’occasion du festival de Marrakech se couvrent de la casquette de critique de cinéma…Truffaut toujours. Cela donne, in fine, des productions discursives, passionnantes et édifiantes. Les organisateurs du festival de national de Tanger constatent à chaque édition le rapport inversement proportionnel entre le nombre de « critiques » présents, accrédités et la quantité de textes produite. Dommage que les facultés de lettres ne développent pas des départements de sociologie des médias et d’analyse de discours médiatique, on aurait appris des choses intéressantes sur l’image du cinéma…notamment autour de la perception médiatique du cinéma. Edifiant encore une fois.
Ceci dit, un discours en cache un autre. Si la critique cinématographique au sens professionnel du mot fait encore défaut, une approche cinéphilique du cinéma marocain émerge ici et là, à travers des textes bien nourris de la passion du cinéma. Car, le drame de notre cinéma est qu’il est souvent abordé par des gens qui n’ont découvert le cinéma qu’une fois adulte, une fois installé dans leur confort universitaire. Ils plaquent alors sur les films des concepts et des grilles élaborées en dehors du cinéma ; ou dans le contexte d’une cinématographique profondément ancrée dans l’histoire du cinéma et dans l’histoire tout court…Comme lorsqu’on cite Tarkovski (la dernière tarte à la crème en vogue) ou J.L. Godard pour parler de Saïd Naciri ! Surréaliste.
Une autre illustration en est fournie par la confusion ontologique qui caractérise la production discursive autour du cinéma. Celle qui ne distingue pas entre le discours critique proprement dit et les autres types de discours sur le cinéma. Notamment entre un texte critique et un texte analytique ou théorique. Beaucoup de chercheurs inscrivent, consciemment ou par défaut leur production dans la rubrique « critique cinéma » et s’accapare lors de leur prestation publique l’étiquette de « critique de cinéma ». Or, la critique cinématographique est un genre spécifique qui se distingue foncièrement du discours analytique-théorique. Non seulement ladistinction est de degré, celle inhérente au niveau d’implication du producteur du texte, mais également de nature, ni la finalité ni la fonction ne sont pas identiques. Mais comment en délimiter la frontière. Je me réfère à une référence d’autorité en la matière qui dans son parcours professionnel a été amené à intervenir tantôt en tant qu’universitaire agissant dans le champ de la théorie du cinéma ; tantôt en tantôt en tant que critique dans la revue du cinéma Les cahiers du cinéma. Il s’agit d’Alain Bergala qui a consacré un article passionnant au sujet « je postulerai ceci : tout texte qui ne se donne pas comme fonction d’évaluer le film ou l’œuvre cinématographique dont il parle n’est pas un texte critique ». Il pose donc comme principe fondateur de la critique cinématographique la propension à évaluer. Rejoignant implicitement la définition étymologique de « critique » qui consiste à distinguer le bon grain de l’ivraie. L’évaluation étant la ligne de démarcation entre le texte critique et les autres types de discours sur le cinéma que Bergala cite : le discours analytique-théorique (qu’il soit universitaire ou non précise-t-il), le discours promotionnel et le discours informatif.
Michel Ciment, critique de cinéma français, directeur de la publication de la revue Positif, le contre-champ cinéphilique des Cahiers du cinéma, vient de sortir (fin de 2014) un livre d’entretiens, Le cinéma en partage, sur son expérience de critique. Sa lecture est enrichissante et tonique. Le titre est en soi tout un programme : Le cinéma en partage. Oui l’amour du cinéma, acquis dès l’enfance se prolonge avec l’acte de partage et de transmettre qui est le fondement éthique en quelque sorte de la fonction critique. Car, c’est quoi la finalité en somme ? C’est partager une passion, transmettre un savoir pour donner à cette passion une dimension intellectuelle, culturelle et artistique.
En conclusion de son livre, il cite quelques principes fondamentaux qui constituent pour lui, les qualités de base que doit avoir un bon critique. Il les appelle, « les sept vertus cardinales pour celui qui veut devenir critique de cinéma ». Je me permets de les rapporter en les commentant.

1)      L’information : informer/ s’informer ; une critique a une dimension informative primordiale (informer son lecteur) ; mais le critique doit également être informé sur le film, sur le cinéaste… Cela permet d’éviter des contre-vérités du genre A Casablanca les anges ne volent pas (Mohamed Asli, 2004) est le premier film qui traite de l’exode rural. Ou encore, la meilleure rapportée par Michel ciment dans son livre, celle d’un critique qui affirme que les meilleures dix minutes jamais filmées par Stanley Kubrick sont celles de l’ouverture de Spartacus (1960), celles des esclaves dans les carrières de pierres. Or cette partie du film a été tournée par… Anthony Mann avant d’être licencié par Kirk Douglas (producteur du film et acteur incarnant le rôle-titre). 

2)     L’analyse : une analyse portée par une grille de lecture cohérente (sémiotique, psychanalytique, sociologique, thématique, formelle…). Un critique doté d’un savoircar « celuiqui sait davantage, voit davantage ». J’aime à ce propos faire le parallèle avec le scénariste. Les deux champs appellent en effet un savoir quasi-encyclopédique : sur le cinéma, sur la société, sur l’histoire, sur les acquis des sciences humaines.
3)     Le style : je pense c’est le minimum dû au film et au lecteur (récepteur du discours critique). Pour un film, une critique sévère bien écrite vaut mieux qu’une critique élogieuse mal écrite ! Un texte critique tient lieu lui-même de finalité. Les textes fins et intelligents de Serge Daney sont la référence en la matière.
4)     La passion ; écrire et parler des films avec enthousiasme ; on n’est pas dans un laboratoire ; ne pas hésiter à afficher son admiration ; je suis d’accord avec ce que dit Michel Ciment : « C’est faire preuve de médiocrité que d’admirer modérément ! ». Pour sa part Serge Daney (in Ciné journal volume 2) rappelle qu’André Bazin fut un grand passionné, « sans passion, il n’écrit pas, mais s’il écrit il procède avec la méthode de celui qui veut en savoir plus sur sa passion », le but étant de partager ce « plus ».

5)     La curiosité : s’intéresser à tout le cinéma ; l’expérimental, le populaire ; le chinois, l’iranien…. De Faouzi Bensaïdi à Abdellah Ferkouss. Le critique-cinéphile (un pléonasme !) ne doit pas tuer le spectateur du samedi soir qui sommeille en lui.
6)     La hiérarchie du jugement ; ne pas hésiter à dire voilà mes films préférés ; voilà les films qui ont marqué une période. Au sein d’un même film, savoir distinguer les aspects qui ont fait défaut ou ceux qui dessinent en filigrane une promesse
7)     Le coup d’œil : l’exploration de nouveaux talents ; avoir le flair (avec l’expérience et les vertus précédentes) de voir/ sentir qu’il se passe quelque chose à un moment donné, de l’évolution d’un cinéma. « une vraie critique invente une œuvre comme on le ferait d’un trésor » Jean Douchet.
Ce n’est pas un programme, ni une grille mais des indications nées d’une riche expérience et d’une longue pratique dans le pays (La France) qui reste l’emblème internationale de la cinéphilie. Car, fondamentalement, un critique, c’est aussi le produit d’un environnement. Si j’étais méchant, je dirai qu’en effet, chaque cinéma a la critique qu’elle mérite. C’est méchant, je dirai gratuitement, car le monde bouge et offre des multiples possibilités, y compris celle optimiste de voir la critique produire un effet. Dans son article sur André Bazin, Serge Daney notait que le fondateur des Cahiers du cinéma était « peu élitiste », et il défendait l’idée que faire aimer les bons films créera un public meilleur qui, à son tour, exigera de voir de meilleurs films.

Pour ma part, je plaide pour une posture d’humilité face aux films. Eviter le discours sentencieux, définitif. Un critique n’est pas Zorro. Ni un imam prêchant la bonne image. Afficher mon point de vue, le défendre avec le maximum de « passion et de lucidité ». Proposer une évaluation. Dire ce que le film me dit sans le réduire ou le ramener à ce qu’il raconte. Laisser une marge de manœuvre à mes propres réminiscences de faire leur complément de travail. De remettre de l’ordre dans le désordre des images.  Le film, tout film reste une entreprise ouverte, inachevée.  Car pour paraphraser ce que dit Umberto Eco du texte littéraire (Lector in fabula), le film/texte est toujours « un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir (…) qui veut laisser au lecteur l’initiative interprétative (…). Un texte veut que le quelqu’un l’aide à fonctionner ». 

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