lundi 5 juin 2017

Ali Zaoua de Nabil Ayouch en tête du top ten 1956-2016


Une question d’esthétique
« Le spectateur croit entrer dans la fiction par le signifie alors qu’il y accède par le signifiant »
C. Metz




Arrivé en tête du sondage organisé par Albayane (Janvier 2017) comme meilleur film marocain, Ali Zaoua de Nabil Ayouch (1999) continue ainsi de séduire. Il s’agit ici  s’agit de trouver une formule adéquate pour parler du film autre que le discours d’impression qu’il génère. C’est-à-dire chercher à aller au-delà de “aimer ou ne pas aimer”, parce que le Monsieur lambda, l’archi-spectateur, le spectateur du samedi soir qui sommeille en chacun de nous ne peut que aimer Ali Zaoua. Le film d’ailleurs s’inscrit dans une stratégie de séduction qui porte largement ses fruits.
 Cependant, l’approche proposée par Nabil Ayouch pose une autre problématique à savoir “être ou ne pas être d’accord”. C’est tout l’intérêt du travail de ce cinéaste qui situe le débat au sein de la sphère cinématographique, au niveau des choix esthétiques. Toute son œuvre  se situe du côté du cinéma, en posant souvent  d’une manière explicite la question de l’inscription dans un genre, même si au niveau du discours d’accompagnement, l’effet d’annonce recherché lorgnait du côté du social, avec un ancrage référentiel relativement lisible, fanatisme, prostitution, enfants de la rue…
Ainsi, Ali Zaoua repose, d’une manière plus explicite, la question du choix esthétique, même si sa première réception a été davantage portée par l’impact dramatique du thème revisité; le discours sur le film se ramenait, se réduisait à un discours sur l’enfance abandonnée. Le social étant de retour accaparé par des structures plutôt ONG, le film se trouvant alors devenir la figure de proue d’une nouvelle forme d’exercice de l’action sociale où le “civil”, associatif et artistique double le politique, sur sa gauche en quelque sorte. Le cinéma proprement dit est occulté à un rôle d’appoint; le discours critique est transcendé par la nouvelle doxa.
On évite ainsi la question fondatrice de l’art: la pertinence, à savoir la congruence entre le sujet et la fable, entre le sujet et son traitement, entre l’énoncé et l’énonciation. C’est le fondement même de toute écriture, depuis les principes de la poétique.
L’ouverture du film nous offre à ce niveau une formidable entrée en matière puisqu’elle porte en filigrane non seulement le programme narratif du film mais dessine (au propre et au figuré, le film commence par un dessin) les configurations possibles de son projet esthétique.
On sait la place fondamentale des débuts de film, ce sont de véritables moments contractuels. Ils établissent entre autres un contrat de communication qui fixe les règles du jeu et de la bonne coopération.
Que nous dit alors l’ouverture du film Ali Zaoua? Elle se déroule au moins  sur trois phases qui s’inscrivent dans des registres d’écriture différents et qui préparent cependant un régime de réception pour l’ensemble du film. On ouvre d’emblée sur un générique in mdias res: les indications écrites se présentent sur un fond pictural, des formes et des couleurs avec en off une voix d’enfant qui décrit un rêve parlant d’île et de voyage. Ces premiers instants offrent un premier clin d’oeil esthétique, cette fresque annonce un univers poétique; une piste possible s’inscrit ainsi dans l’horizon d’attente du spectateur. On enchaîne ensuite sur la séquence reportage, la plus problématique du film, la plus éloquente et la plus riche. Ici le cinéma simule la télévision, et un genre télévisuel en particulier, le reportage qui fait le bonheur des magazines d’information et des j.t. La séquence est intéressante dans sa signification et dans sa forme signifiante. Elle donne les premières informations sur ce qui sera l’univers du film: la rue, ses personnages, les enfants et instaure le héros Ali Zaoua. Le cadrage est serré, caméra à l’épaule, voix off de la journaliste, regard à la caméra des sujets...le film dessine un autre projet esthétique possible. Celui d’ailleurs qui a été expérimenté dans le cinéma vérité qui a abordé le sujet des enfants des rues. La séquence se clôt sur un zoom sur Ali Zaoua, une façon de le récupérer par la télévision et de l’évacuer pour le cinéma. Ce gros plan sur Ali Zaoua est prémonitoire annonciateur de sa prochaine mort. L’enfant de rue disparaît comme entité, transformée en image par le dispositif audiovisuel. C’est une icône qui ne renvoie plus à rien sauf à elle-même. Ce zoom s’approprie Ali Zaoua et le tue avant l’acte. Désormais Ali Zaoua est un objet et non plus un sujet. La séquence suivante annonce un dispositif diamétralement opposé. Par son cadrage, par le choix de l’angle, Ali Zaoua, le film, entre dans un troisième registre d’écriture. Au niveau des plans, elle est perçue par rapport à la précédente comme un passage de la télévision au cinéma.  Ce troisième moment est la véritable ouverture du film, Nabil Ayouch place un dispositif, au niveau du son et de l’image qui refuse le cinéma vérité et invite à une réception qui fait appel à la mémoire cinéphilique du récepteur. Il y a tout lieu de dire que ces enfants sont filmés à la Sergio Leone, dans Il était une fois l’Amérique notamment. Le régime narratif adopté est explicite, les éléments constitutifs du récit sont annoncés. Avec notamment un système de personnages qui reprend les canons de l’écriture fictionnelle: Ali Zaoua, son adjoint, ses “troupes” et la bande rivale. On va assister d’ailleurs à un montage qui rappelle une ouverture marquée par la tradition cinématographique et la tradition narrative. Le héros et ses hommes sont cernés, encerclement physique et sonore, comme dans un western, les “Indiens” apparaissent  non plus sur des collines mais sur les cloisons qui forment le mur du terrain vague. Un panoramique les décrit dans leur rituel avant que la caméra ne s’arrête sur le face à face décisif: Ali Zaoua et Dib. Une posture cinématographique classique, servie par la consécution des plans et des actions.
La séquence s’achève  par la mort de Ali Zaoua, le coup mortel est amplifié par les effets spéciaux, l’effet de la pierre rappelle l’effet d’une balle dans Voyage au bout de l’enfer. Cette mort de Ali Zaoua donne au film son argument narratif. Pour ses amis, il s’agit de lui assurer un enterrement décent digne de ses rêves princiers. C’est l’objet du désir selon le schéma actantiel classique. Avec cependant cette différence de taille: au voyage horizontal rêvé initialement, se substitue un déplacement vertical. Avec cette image récurrente de la fosse qui servira en premier lieu à cacher le corps de Ali Zaoua.  Son retour qui scande l’évolution du film la transforme en signe qui ouvre sur plusieurs lectures dont peut être la quête du giron maternel, la nostalgie du cordon ombilical; le réveil du foetus et son désir de chaleur (voir la scène où Boubker se réfugie au trou et refuse d’en sortir qu’en échange de plus d’attention: tout le programme de l’enfance qui affronte l’arrivée au monde).
Nous sommes alors dans un régime fictionnel authentique. Ali Zaoua mobilise un ensemble de postulats narratifs sur la base desquels le spectateur est invité à un monde diégétique possible avec ses lois et son fonctionnement propre. Ses postulats ont leur valeur de vérité: causalité, consécution, la structuration de l’espace-temps, la fonction polarisante du personnage. Au premier degré, on peut donc y voir des enfants de rue. Cependant leur actualisation filmique passe par la prise en compte des contraintes liées spécifiquement au médium cinématographique. ¨Parmi ces traits on peut citer, l’interprétation avec notamment la présence de Saïd Taghmaoui, une façon explicite de fictionnaliser la réalité. Saïd Taghmaoui est le reflet cinématographique de Ali Zaoua, il lui renvoie une image celle que nous recevons dans le cadre, dans le plan, celle de son illusion. Cette dimension diégétique a été transcendée par un autre désir celui du spectateur qui s’obstine à “voir” dans le film sa vérité au détriment de la seule vérité cinématographique plausible. L’activité émotionnelle l’emporte parce que finalement, comme le souligne Umberto Eco, “le texte est une machine paresseuse qui fait faire au lecteur la plus grosse part du travail, sur la base des instructions qu’il lui fournit”. Avec Ali Zaoua il le fut largement.


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