jeudi 5 novembre 2015

les feuilles mortes de Younes Reggab par Mohammed bakrim

Le mal parmi nous

Quand on s’appelle un Reggab, la rencontre avec le cinéma est presque un destin. Et Younes Reggab n’y a pas échappé : il a été au rendez-vous ; son premier long métrage de cinéma, Les feuilles mortes, est à l’affiche des écrans du pays depuis mercredi dernier. Le film a été présenté en avant première à quelques jours près de la date anniversaire, le 16 octobre, du décès de son père feu Mohamed Reggab, figure historique du cinéma marocain. Si Mohamed dont toute la vie a été marquée et dédiée au cinéma nous a quitté en effet en 1990. Un hommage et la vie continue…
Younes Reggab a pris son temps pour réaliser son premier film « cinéma ». Après avoir réussi ses courts métrages dont certains ont très bien circulé et obtenu des distinctions dans différents festivals, je pense notamment à Destin de famille…il entame ensuite un travail intéressant à la télévision alternant mélodrame urbain et reconstitution historique. Les touches de cette expérience se retrouvent dans son nouveau film : des personnages poursuivis par leur passé, des parcours parsemés d’embûches et des atmosphères de tension implicites qui finissent par faire irruption bouleversant des vies…
C’est déjà un condensé du récit de son long métrage, Les feuilles mortes. Celui-ci cependant ne se réduit pas  à cela ou à rien que cela. Dès les premiers plans, le film nous situe dans une géographie physique et humaine originale. L’espace du drame nous éloigne des paysages devenus cliché dans une certaine filmographie marocaine. Ici, c’est la ville d’Ifrane qui offre le cadre à un récit inscrit dans la modernité de par le profil des personnages, une jeunesse marocaine d’aujourd’hui (elle boit, fume, danse…), et l’univers de référence qui est celui de la danse.  Une ville censée être un lieu de villégiature va fonctionner comme révélateur : derrière le calme paisible, apparent,  gronde la tempête ; les beaux plans de la ville quasiment  filmés dans une esthétique carte postale sont un leurre. Ce n’est pas un voyage touristique que va nous proposer le récit ; c’est plutôt une descente aux confins de l’âme humaine ; là où le mal se terre en attendant de frapper. Les feuilles mortes qui jonchent le sol de ces rues désertes en automnes renvoient symboliquement à quelque chose de mort dans les relations humaines. La première apparition du personnage central, Zohra, se fait au sein de ce décor aux allures paradisiaques. Elle est professeur de danse et prépare activement le concert de fin d’année. Aux intrigues secondaires spécifiques  à ce milieu clos (jalousie, compétition, manque de moyens…) va succéder une intrigue majeure, celle du secret que porte en elle Zohra. Premier indice qui va déranger une ouverture du récit paisible, les apparitions d’un personnage énigmatique au visage balafré. Il jouera un rôle moteur dans la suite des événements ; il est une des figures de ce passé de Zohra qui va finir par entrer par effraction dans son présent. Encore une fois les apparences sont trompeuses, ce personnage qui avance dans l’ombre n’est pas ce que les signes extérieurs laissent croire d’emblée. Toute la tactique de la mise en scène du film consiste à nous mettre sans cesse sur des fausses pistes. L’une des plus transparentes reste cependant la piste de Mme Serfaty. Si Zohra est suivie par un homme portant une blessure apparente, Mme Serfaty, la directrice du projet et du conservatoire,  porte, quant à elle, une blessure intérieure, celle du déchirement de toute une communauté. La communauté juive marocaine. Mme Serfaty, le personnage positif complet du film, est harcelée par des appels lui enjoignant de retrouver le reste de sa famille (on comprend qu’il s’agit d’Israël). Elle refuse ayant fait le choix de rester et de porter en elle le projet d’une nouvelle communion illustrée par le concert qu’elle prépare avec Zohra et par la carte de la Palestine unifiée affichée sur le mur de sa maison.
L’objectif qui réunit les principaux personnages du récit (la troupe de danse) est de monter ce projet de concert…mais pour y parvenir il y a un préalable. Il y a des zones d’ombre à éclaircir. C’est un message fort que Reggab envoie à ses spectateurs. Le scénario qu’il propose offre une image accablante de la société ; celle-ci n’est pas seulement une société d’énigmes et d’intrigues, elle est surtout une société de pathologie (les chefs d’orchestre sont des aliénés, enfermés !). Le plan final renvoyant à la clôture dans un asile psychiatrique est certes très dur mais il n’en demeure pas moins d’une éloquence inouïe : il n’y a pas d’issue possible sans passer par un exercice thérapeutique. Solder d’abord les comptes du passé avant de penser à donner suite à un concert…La nouvelle génération des cinéastes s’inscrit dans le  scénario d’une société clivée où l’image cache d’autres images. Où l’émancipation du sujet est tributaire de boulets légués par un passé traumatisant. Le clin d’œil  du titre à la célèbre chanson d’Yves Montand sur des paroles de Jacques Prévert n’est qu’un leurre de plus même si ces deux vers conviennent comme refrain au film : « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle…Les souvenirs et les regrets aussi ».

Le film est porté par un travail d’équipe salué judicieusement par Younes Reggab avec la coordination de la production assurée par Anissa Reggab qui fait une apparition dans le film. Les comédiens ont été à la hauteur, Rabi Kati excellent dans sa métamorphose à la Robert de Niro et Sanaa Bahaj s’en tire avec les honneurs dans un rôle complexe.les feui 

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