samedi 28 novembre 2015
mardi 24 novembre 2015
Lettre de Carthage par Mohammed Bakrim
Victoria
Abril « le cinéma est une thérapie »
le cinéma à l'ombre d'Ibn Khaldoun
La célèbre avenue Habib
Bourguiba, adjuvant majeur des grands événements de la Tunisie contemporaine, notamment autour
du fameux "dégage", grouille
de monde en ce week automnal ; certes le déploiement sécuritaire est
impressionnant mais les tunisois –hommes et femmes- investissent tous les lieux
de convivialité et de spectacles ; ce qui fait des journées
cinématographiques de Carthage l’un des festivals les plus ancrés dans son
environnement. « Le public est la grande force des JCC » me dit un
vieux compagnon du festival arabo-africain.
Samedi déjà, la cérémonie
d’ouverture avait donné le ton. Très sobre et très cinéphile ; elle a été
marquée par l’hommage rendu à de nombreuses personnalités avec une guest star
de choix l’espagnole Victoria Abril. Elle a égayé la soirée par ses répliques spontanées.
« Le cinéma dit-elle est une thérapie contre les maux du siècle ;
elle devrait dépendre non pas du ministère de la culture mais du ministère de
la santé ». Elle cite sa propre expérience en racontant comment l’entrée
dans une fiction lui sauvé parfois la vie. « Il n’y a pas plus simple que
faire un film : une feuille de papier et un crayon ; le plus
important est de raconter une histoire. La technique suivra ». Interrogée
par l’animateur sur le Classico espagnol
qui se déroulait au même moment, elle n’a pas voulu dire où penchait son cœur.
Peut-être, était-elle déjà au courant de la raclée que subissait le club royal
de la capitale. Deux mots revenaient dans les discours prononcés : liberté
et tolérance. La Tunisie post Ben Ali se construit une identité blessée et
bafouillée pendant des décennies. La programmation de ces 26èmes JCC va dans le
même sens, celui de l’hymne à la vie. Première remarque : le nombre
impressionnant de projections, plus d’un millier, à travers tout le pays.
La compétition officielle a démarré
avec un premier programme spécial court métrage. Le module présenté est
globalement de bonne facture. Le film Algérien Almouja de Omar Belaksmi dresse
un tableau accablant de l’Algérie actuelle à travers le regard d’un journaliste
algérien qui rentre de France pour une enquête sur le monde ouvrier et se
retrouve face à l’apathie et au défaitisme d’une élite intellectuelle qui a
abdiqué. Le jeune marocain Eliass Alfariss est allé filmer les vagues et les
falaises de Taghazoute où un jeune enfant découvre la mer et ses mystères. La
caractéristique principale de la participation marocaine dans la plupart des
sections est l’arrivée de nouvelles générations, notamment avec des
courtmétragistes issus d’écoles de cinéma. C’est de bon augure en attendant
l’entrée de leurs (jeunes) aînés, Ayouch et Mouftakir en compétition
officielle, jeudi prochain.
Séance d’hommage émouvante
dimanche matin en souvenir de la romancière et cinéaste algérienne Assia
Djebbar. Occasion de reparler d’un cinéma, notamment La Nouba des femmes du
mont Chenoua (1976), en rupture radicale avec le cinéma idéologique dominant
dans l’Algérie dite révolutionnaire. Le film écrit quasiment d’un point de vue
personnel celui d’une femme sur le destin des femmes qui est celui d’une nation
a bouleversé les schémas établis et provoqué l’ire des gardiens du dogme. Assia
Djebbar quittera l’Algérie, blessée et déçue. Mais son film continue à parler
pour elle comme un chef d’œuvre à redécouvrir sans cesse.
Deux grands films de la
journée. Le fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes (Grand prix à Cannes) vu dans
le cadre de la très riche section Cinéma du monde et Madame courage le très
attendu nouveau film de l’Algérien Merzak Allouach, présenté dans le cadre de
la compétition officielle.
Le fils de Saul aborde un sujet
qui n’a pas cessé de susciter polémique et controverses : comment filmer
l’horreur de la solution finale nazie ; comment aborder d’une manière
artistique l’inimaginable horreur des fours crématoires sans verser dans le
voyeurisme, la banalisation ou l’idéologisation. Le pari de Nemes (réussi)
était un véritable enjeu cinématographique : comment filmer le non
filmable. L’esthétique ici, est fondamentalement une éthique. Dans le camp d’Auschwitz,
Saul est un prisonnier juif du camp ; il est assigné à aider les nazis
dans leur travail d’extermination avant d’être lui-même liquidé. Il découvre le
corps d’un enfant encore en vie et décide de lui assurer une mort digne avec
sépulture et rituel sacré…Nemes filme son sujet en apnée ; il nous emmène
dans une véritable immersion dans cet univers, la caméra collant pratiquement
au corps de Saul : le gros plan du visage est un vecteur narratif ;
le spectateur est « embarqué » mais sans voyeurisme ni sensualisme ;
l’horreur est là, suggérée, abordée, vécue en somme ; tout le temps en
hors champ ; avec une bande son créant un hors champ sonore élargissant
l’espace enserré où évolue Saul.
Madame Courage, le film de Merzak Allouach prolonge son travail de
radioscopie cinématographique de l’univers périurbain de la société
algérienne. Attention, le titre est un
leurre ; ce n’est pas un clin d’œil à Brecht : c’est tout simplement
le nom que donnent les drogués à une substance très forte qui relève davantage
de poison. Le film nous transpose dans la banlieue pauvre de Mostaganem pour
suivre le quotidien de Omar jeune délinquant qui vit de vols à l’arrachée et
dont le père dit-il est mort « du pétrole » puisqu’il était ouvrier à
Hassi Messoud. Allusion certaine au paradoxe algérien pays riche à la
population pauvre. On le suit caméra à l’épaule dans ses aventures qui se
compliquent quand il tombe amoureux d’une jeune lycéenne. On quitte
provisoirement le sociologique pour des séquences romantiques et quasi oniriques. Mais ce n’est
pas suffisant pour donner plus d’ampleur au film qui reste le moins abouti
d’une filmographie marquée par de vrais chefs d’œuvre.
JCC: le Maroc sur tous les fronts
Les 26èmes journées cinématographiques de Carthage
Le
Maroc en pole position
C’est un film éthiopien, Lamb
de Yared Zeleke, sélection Un certain de
regard à Cannes 2015, qui donne le coup d’envoi (projeté en cérémonie
d’ouverture), des 26èmes Journées cinématographique de Carthage qui commencent
ce samedi 21 novembre. Le plus ancien festival de cinéma africain, il est né en
effet en 1966, traverse une phase de mutations marquée par les grands
événements qui ont touché le pays. Dans le sillage de vent de changement, les
JCC vivent le changement à leur manière. C’est ainsi qu’il est devenu annuel
depuis deux ans, et compte réaffirmer davantage son identité originelle celle
d’être une vitrine de choix du cinéma arabe et africain dans une perspective
cinéphilique restant ainsi fidèle à la mémoire de ces deux figures tutélaires
Sembene Ousmane et Tahar Chariâa. L’arrivée à sa tête année d’Ibrahim Letaïf,
producteur, cinéaste et fin connaisseur du cinéma de notre région est un signe
qui va dans ce sens.
Cette édition (du 21 au 28
novembre 2015) s’annonce prometteuse
avec une programmation riche et variée. Les organisateurs qui ont tenu à
conforter les acquis précédents ont tenu à élargir l’espace de réception des
films vers d’autres régions de la Tunisie ; en particulier avec un
programme spécifique à l’attention des étudiants au sein de l’université de la
Manouba. « On a constaté ces dernières années que le nombre d’étudiants
fréquentant le festival a diminué. C’est pour cela que nous avons décidé cette
année de porter le festival vers les étudiants » nous a dit M. Letaïf lors
de sa participation au dernier festival de Khouribga. Le point fort des JCC
reste en effet son public : jeune, vivant, allant vers tous les genres de
films et…paie son billet pour accéder aux salles.
Le Maroc est omniprésent cette
année aux JCC dans la plupart des sections, avec une note particulière, c’est
un Marocain qui préside le jury de la compétition officielle en la personne de
M. Nour Eddine Saïl. Un choix qui est en quelque sorte d’hommage puisque M.
Saïl a accompagné les JCC depuis pratiquement leur création ; en tant
que cinéphile et critique de cinéma il a tissé des liens très forts avec ses
collègues tunisiens notamment avec le producteur feu Ahmed Attia. En tant que
directeur de la deuxième chaîne et après du CCM, il a renforcé ses liens avec
une dynamique politique de coopération. Les cinéastes tunisiens se
considéraient à juste titre chez eux au Maroc. M. Saïl sera accompagné pour
juger les films de cette édition de la palestienne, Mme Laila Chahid, du
comédien algérien Abel Jafri, de la tunisienne Anissa Barrak, experte auprès de
l’organisation internationale de la francophonie, de Marcela Said, cinéaste
chilienne, de Newton Aduaka cinéaste nigérian, Oussama Faouzi cinéaste égyptien. Deux films
marocains ont été sélectionnés pour la compétition officielle, qui s’annonce
très étoffée cette année. Il s’agit de L’orchestre des aveugles de Mohamed Moufta
kir et Much loved de Nabil Ayouch. Ils
seront en compétition avec de grands noms du cinéma arabo-africain :
Suleiman Cissé, Daoud Abd Sayed, Mokhtar Ladjimi, Merzak Allouach, Fares
Naanaa…ça promet. Le Maroc est également présent dans les sections court
métrage, documentaire…nous y reviendrons.
Mohammed
Bakrim
vendredi 20 novembre 2015
Adieu Mostafa Mesnaoui
Adieu Mostafa Mesnaoui
Le cinéaste américain Frank
Capra disait, en toute connaissance de cause : « le cinéma est une
maladie ; le seul antidote au cinéma est le cinéma ! » au point
parfois d’en mourir. Si Mostafa Mesnaoui est mort pour le cinéma, dans le
cinéma. La nouvelle terrible est tombée tôt ce mardi matin. Il était au Caire
pour le festival de cinéma qui se tient actuellement dans la capitale
égyptienne. On le savait
malade. On a parlé au téléphone il y a à peine quelques jours ; je me suis
informé de son état de santé et il m’avait dit qu’il était dans l’obligation de
réduire ses activités. Une façon de parler car Si Mostafa n’était pas du genre
à renoncer. C’était un homme d’action, au service de sa passion, le cinéma et
la culture. Il était justement à Laayoun dans le cadre des festivités célébrant
le 40ème anniversaire de la marche verte où il avait animé une
conférence sur la place du documentaire
dans la réhabilitation de la culture hassanie. Une courte pause à
Casablanca avant de rejoindre les bords du Nil, le Caire…où il avait
rendez-vous avec le destin pour son ultime voyage. Que Dieu ait son âme. Il
avait en effet succombé à une crise cardiaque alors qu’il était à son hôtel.
Mostfa
Mesnaoui est le modèle de l’intellectuel multidimensionnel ; imprégné de
l’esprit du temps. Un citoyen moderne ouvert sur les acquis des progrès
techniques en matière de médias. Enseignant de philosophie ; il était
écrivain, nouvelliste, éditeur, critique de télévision et spécialiste des
nouveaux médias. Mesnaoui a inscrit son activité d’intellectuel dans une
dimension moderniste engagée au service de l’épanouissement de l’esprit
critique et d’ouverture. Acteur culturel depuis sa jeunesse, il était dans le
sillage de la nouvelle gauche dans les années 70. Et il en paya le tribu et
fait partie des victimes des années de plomb. Il était arrêté et emprisonné
(1974 -1976) et dans le dossier d’accusation figurait l’une de ses nouvelles.
Il
a compris très tôt le rôle de la culture notamment dans ses expressions
modernes pour rattraper le retard
historique qui caractérisait notre société. Il s’investit alors à fond dans la
création littéraire ; la critique du cinéma et de la télévision. Il a
aussi crée une structure de traduction mettant notamment à la disposition des
lecteurs arabophones les textes essentiels des sciences humaines en particulier
les textes majeurs de Roland Barthes. En tant que critique de cinéma, il était
l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma arabe et il était consultant expert
pour de nombreux festivals dans le monde pour tout ce qui concerne le cinéma
marocain.
Mostafa
Mesnaoui était aussi un grand dramaturge contribuant à l’écriture de plusieurs
sit-com à succès. Il était aidé en cela par un style satirique acerbe, subtil
et ravageur : un caricaturiste du mot. Sous les apparences d’un
intellectuel, philosophe austère, Mesnaoui dévoilait un grand sens de l’humour.
Il était devenu une référence en matière de capter les paradoxes et les
contradictions des mœurs de la nouvelle petite bourgeoisie urbaine. Traquant
avec dérision et distance le tragique invisible des rapports sociaux. Une plume
et un regard qui feront cruellement défaut à un paysage envahi par la bêtise et
la médiocrité. Adieu Si Mostafa et nos condoléances les plus sincères à son
épouse, ses enfants, à sa famille et à l’ensemble de la planète cinéphile.
lundi 16 novembre 2015
Loubna Abidar, une actrice dans le buzz
Loubna Abidar « réfugiée syrienne » ??!!!!
Une
actrice dans le buzz
Cette fois c’est Le
Monde qui s’en mêle ! Le célèbre quotidien du soir a offert une tribune à Loubna Abidar,
l’actrice controversée, où elle dit tant
de bien de ce qui fut son pays, Le Maroc. Elle a exprime en effet sa
volonté de quitter ce pays. Le journal parisien qui avait bâti jadis sa
réputation sur une pratique faite de professionnalisme et de sérieux va même
dans un article informatif à sens unique jusqu’à préciser dans la présentation
de la comédienne qu’elle est amazighe.
Tiens donc ! C’est la première fois que ce qualificatif vient étoffer son
CV. Le contexte se prête en effet à faire feu de tout bois ; pour servir
le scénario de victimisation et accentuer
sa dimension dramatique. Préciser que Abidar est amazighe c’est apporter
une touche d’oppression ethnique à l’agression physique, à l’harcèlement
machiste et à la répression culturelle.
Une femme, une amazighe, une actrice rebelle…voilà les ingrédients
typiques pour le profil de la victime, suffisamment mis en scène pour monter
une nouvelle affaire contre ce Maroc qui
dérange. Sauf que le journaliste qui a découvert l’origine ethnique de
l’actrice a oublié de préciser qu’ « Abidar » en amazigh signifie « boiteux »,
« bancal »…à l’image en fait de toute cette mauvaise affaire qu’on
tente de nous servir.
Ce faisant, le Monde rejoint ainsi le concert
d’apitoiement qui entoure le film, tel un réfugié syrien et sa comédienne
(sic) depuis sa sortie tapageuse à Cannes ou plutôt depuis « les
fuites » des rushes qui n’appartiennent pas à la version officielle du
film et qui ont néanmoins entrainé son interdiction par les autorités
marocaines. Ce déferlement de sympathie
à l’égard du film de Ayouch ne manque pas de significations, et trahit une
certaine mentalité chez lez distributeurs français. Deux poids deux mesures à
l’égard des films provenant des ex-colonies.
Alors que Much loved bénéficie de tous les petits soins glanant même des
prix ici et là, d’autres films marocains sont bloqués par le visa Schengen. Je
connais au moins deux grands films marocains et coproduits avec la France qui
attendent en vain une sortie
commerciale : L’orchestre des aveugles et la moitié du ciel. Deux
grands films récompensés dans leur pays et plébiscités par le public et la
critique qui ne trouvent pas un distributeur courageux, capable de mette en
application la fameuse diversité culturelle tant galvaudées par les élites
françaises. Le message est stupide : un film doit être alors interdit dans
son pays pour bénéficier de la charité sympathique des distributeurs.
Même nos amis (frères)
tunisiens ont cédé face à cette vaste opération d’instrumentalisation
orchestrée autour du film en l’inscrivant en compétition officielle des prochaines
JCC (Journées cinématographiques de Carthage).
La vie d’Adèle, le film du
franco-tunisien, Abdel Kechiche n’a pas eu la même chance avec Carthage ni avec
les distributeurs tunisiens. Gageons que
le Prix d’interprétation féminine des JCC est déjà réservé.
D’une victime, l’autre. Et
la principale victime de cette pseudo affaire, c’est le film lui-même. Tout ce
bruit dérange et parasite sa réception publique sereine et apaisée. Le film en effet est porté par des qualités
intrinsèques ; il est réalisé par un cinéaste important de notre paysage
cinématographique. Un film qui aborde des problématiques sérieuses et pose des
questions de fond quant au rapport du cinéma au réel, au social. Et à y
regarder de près (toujours dans la version officielle : je récuse l’idée
de le juger à partir des extraits piratés), il offre même des éléments qui
dessinent des pistes de lecture…que Loubna Abidar aurait dû bien méditer. Comme
cette belle scène où l’on voit une femme, foulard blanc sur la tête et Djellaba
sombre marcher dans une rue de la médian…Un corps comme tant d’autres que l’on
croise matin et soir dans nos rues. Le film nous invite à un arrêt sur
images ; à nous interroger sur quelle histoire, quel récit de vie portent
ces corps enfermés dans des apparences…fausses. Tout le projet du film est de
traquer l’invisible tragique derrière ce visible trompeur. C’est ainsi que l’on
découvre que cette femme (Loubna Abidar) va en fait voir un enfant qu’elle
avait confiée à sa mère. Celle-ci lui dit : « ne reviens plus ici !
Ne te montre plus dans le quartier ; je ne veux plus te voir ». Une
réplique prémonitoire qui dit, au-delà du personnage auquel elle s’adresse, le devenir de
l’actrice qui l’incarne.
Mais le problème/le
drame de Loubna Abidar transcende celui de Noha. Abidar n’a pas un problème
avec le quartier. Elle vit aujourd’hui grâce à la nouvelle tribu
virtuelle ; son oxygène c’est le buzz. Elle est en addiction des réseaux
sociaux. Sans buzz elle n’existe pas. Elle
ne peut plus sortir des réseaux. Elle est dans Matrix. Entre elle et le
réel, il y a la toile. Sa raison d’être. Quitter le Maroc ou y revenir ne sont
pas la réalité ; sa réalité est cybernétique.
Maintenant la séquence
drôle de l’histoire. Un expert de la
communication et de la publicité vient de mettre sur la place publique une idée
(encore une) destinée à qui de droit consistant dans la création d’une agence
nationale pour améliorer l’image du Maroc.
Une image égratignée, selon un communiqué officiel par le film de Nabil
Ayouch. L’expert qui se propose de
corriger cette image n’est autre que Nour Eddine Ayouch. Autant de rebondissements dignes d’un
scénario qui pourrait intéresser Hicham…Ayouch.
jeudi 5 novembre 2015
les feuilles mortes de Younes Reggab par Mohammed bakrim
Le
mal parmi nous
Quand on s’appelle un
Reggab, la rencontre avec le cinéma est presque un destin. Et Younes Reggab n’y
a pas échappé : il a été au rendez-vous ; son premier long métrage de
cinéma, Les feuilles mortes, est à l’affiche des écrans du pays depuis mercredi
dernier. Le film a été présenté en avant première à quelques jours près de la
date anniversaire, le 16 octobre, du décès de son père feu Mohamed Reggab,
figure historique du cinéma marocain. Si Mohamed dont toute la vie a été
marquée et dédiée au cinéma nous a quitté en effet en 1990. Un hommage et la
vie continue…
Younes Reggab a pris son
temps pour réaliser son premier film « cinéma ». Après avoir réussi
ses courts métrages dont certains ont très bien circulé et obtenu des
distinctions dans différents festivals, je pense notamment à Destin de
famille…il entame ensuite un travail intéressant à la télévision alternant
mélodrame urbain et reconstitution historique. Les touches de cette expérience
se retrouvent dans son nouveau film : des personnages poursuivis par leur
passé, des parcours parsemés d’embûches et des atmosphères de tension implicites
qui finissent par faire irruption bouleversant des vies…
C’est déjà un condensé
du récit de son long métrage, Les feuilles mortes. Celui-ci cependant ne se
réduit pas à cela ou à rien que cela.
Dès les premiers plans, le film nous situe dans une géographie physique et
humaine originale. L’espace du drame nous éloigne des paysages devenus cliché
dans une certaine filmographie marocaine. Ici, c’est la ville d’Ifrane qui offre
le cadre à un récit inscrit dans la modernité de par le profil des personnages,
une jeunesse marocaine d’aujourd’hui (elle boit, fume, danse…), et l’univers de
référence qui est celui de la danse. Une
ville censée être un lieu de villégiature va fonctionner comme
révélateur : derrière le calme paisible, apparent, gronde la tempête ; les beaux plans de
la ville quasiment filmés dans une
esthétique carte postale sont un leurre. Ce n’est pas un voyage touristique que
va nous proposer le récit ; c’est plutôt une descente aux confins de l’âme
humaine ; là où le mal se terre en attendant de frapper. Les feuilles
mortes qui jonchent le sol de ces rues désertes en automnes renvoient
symboliquement à quelque chose de mort dans les relations humaines. La première
apparition du personnage central, Zohra, se fait au sein de ce décor aux
allures paradisiaques. Elle est professeur de danse et prépare activement le
concert de fin d’année. Aux intrigues secondaires spécifiques à ce milieu clos (jalousie, compétition,
manque de moyens…) va succéder une intrigue majeure, celle du secret que porte
en elle Zohra. Premier indice qui va déranger une ouverture du récit paisible,
les apparitions d’un personnage énigmatique au visage balafré. Il jouera un
rôle moteur dans la suite des événements ; il est une des figures de ce
passé de Zohra qui va finir par entrer par effraction dans son présent. Encore
une fois les apparences sont trompeuses, ce personnage qui avance dans l’ombre
n’est pas ce que les signes extérieurs laissent croire d’emblée. Toute la
tactique de la mise en scène du film consiste à nous mettre sans cesse sur des
fausses pistes. L’une des plus transparentes reste cependant la piste de Mme
Serfaty. Si Zohra est suivie par un homme portant une blessure apparente, Mme Serfaty,
la directrice du projet et du conservatoire, porte, quant à elle, une blessure intérieure,
celle du déchirement de toute une communauté. La communauté juive marocaine.
Mme Serfaty, le personnage positif complet du film, est harcelée par des appels
lui enjoignant de retrouver le reste de sa famille (on comprend qu’il s’agit d’Israël).
Elle refuse ayant fait le choix de rester et de porter en elle le projet d’une
nouvelle communion illustrée par le concert qu’elle prépare avec Zohra et par
la carte de la Palestine unifiée affichée sur le mur de sa maison.
L’objectif qui réunit
les principaux personnages du récit (la troupe de danse) est de monter ce
projet de concert…mais pour y parvenir il y a un préalable. Il y a des zones
d’ombre à éclaircir. C’est un message fort que Reggab envoie à ses spectateurs.
Le scénario qu’il propose offre une image accablante de la société ;
celle-ci n’est pas seulement une société d’énigmes et d’intrigues, elle est
surtout une société de pathologie (les chefs d’orchestre sont des aliénés,
enfermés !). Le plan final renvoyant à la clôture dans un asile
psychiatrique est certes très dur mais il n’en demeure pas moins d’une
éloquence inouïe : il n’y a pas d’issue possible sans passer par un
exercice thérapeutique. Solder d’abord les comptes du passé avant de penser à
donner suite à un concert…La nouvelle génération des cinéastes s’inscrit dans
le scénario d’une société clivée où
l’image cache d’autres images. Où l’émancipation du sujet est tributaire de
boulets légués par un passé traumatisant. Le clin d’œil du titre à la célèbre chanson d’Yves Montand
sur des paroles de Jacques Prévert n’est qu’un leurre de plus même si ces deux
vers conviennent comme refrain au film : « Les feuilles mortes se
ramassent à la pelle…Les souvenirs et les regrets aussi ».
Le film est porté par un
travail d’équipe salué judicieusement par Younes Reggab avec la coordination de
la production assurée par Anissa Reggab qui fait une apparition dans le film.
Les comédiens ont été à la hauteur, Rabi Kati excellent dans sa métamorphose à
la Robert de Niro et Sanaa Bahaj s’en tire avec les honneurs dans un rôle
complexe.les feui
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