vendredi 17 mai 2019

Le festival de Cannes et après



Exotisme social et formatage esthétique
« Peau noire, masques blancs »
Frantz fanon





La planète cinéma vit à l’heure de Cannes. Son festival vient en effet d’entamer sa 72ème édition. Le troisième grand rendez-vous mondial du cinéma, avec Venise et Berlin, s’annonce cette année palpitant en termes de programmation au niveau de ses trois grandes sélections (la compétition officielle, un certain regard et les films hors-compétition). Cannes reste Cannes même si le cinéma, et le monde qui le produit et l’inspire, changent et vivent des mutations porteuses de plus d’incertitudes que d’horizon dégagé. La compétition officielle de cette édition semble être portée par un souffle social indéniable. Les gilets jaunes sont passés par là. Un mouvement social inédit, soutenu dernièrement par une pétition où figurent beaucoup d’habitués de Cannes, et qui secoue la France depuis novembre a déjà donné lieu à des films signés par de grands cinéastes (je pense notamment à l’excellent documentariste Pierre Carles).
Des vents multiples soufflent donc sur la croisette ; depuis quelques années, c’est l’arrivée fulgurante de plateforme comme Netflix qui secoue le cocotier. Déjà l’année dernière une grande polémique a marqué le festival autour de certains dogmes qui ont la vie dure comme celui de la chronologie des médias (la fameuse règle qui dicte l’ordre de sortie d’un film : la salle, la télé, le dvd, la vod…). Le film Roma du mexicain Alfonso Cuaron était la vedette par défaut de l’édition 2018. Boudé à Cannes, il est allé rafler le Lion d’or à Venise. Depuis les débats les plus contradictoires continuent sous la pression de différents lobbies. Symboliquement, le festival de cette année s’ouvre avec le nouvel opus de Jim Jarmusch, The dead don’t die, un film de morts vivants sur une bourgade envahi par des zombies. Il n’y a pas plus éloquente parabole pour exprimer et incarner les angoisses, les peurs et les tensions de notre monde. Le film a bénéficié d’une sortie internationale simultanée et il a été projeté dans des centaines de salles dans le monde (y compris Rabat) en même temps que sa première cannoise.
Face à ces bouleversements  que le cinéma parvient lui-même à mettre en abyme, en racontant sa propre mutation en zombie, il est utile de s’interroger sur la diversité du cinéma, géographique et culturelle représentée à Cannes. Deux films d’origine marocaine (c’est une erreur de dire « des films représentent le Maroc », Cannes n’est pas une compétition olympique entre pays; les films ne représentent institutionnellement qu’eux-mêmes !) et ayant bénéficié de l’avance sur recettes marocaine sont à Cannes cette année :  Adam de Meryem Touzani dans Un certain  regard et Le Saint inconnu de Alae Eljam à la semaine de la critique.



La question de la diversité culturelle des films et de leur programmation internationale n’obéit pas à une logique artistique stricto sensu. Les films sont programmés dans ce sens. Il est révélateur de constater que ce sont des films inscrits dans une production qui répond à un cahier de charge que l’on ne peut que qualifier de néo-orientaliste marqué l’exotisme social et le formatage esthétique. Par cinéma néo-orientaliste, il faut entendre un cinéma qui représente des populations autochtones selon un discours exotique par un cinéaste autochtone financé par l’étranger. Une situation qui a pris de l’ampleur dans le contexte post-printemps arabe où l’occident se met à promouvoir des films arabes où l’on aborde des thématiques selon l’agenda occidental du moment : « fanatisme », « intolérance », « enfants de la rue », « misère sociale » « mères célibataires ». La nouvelle icône de cette démarche est Nadine Labaki (prix du jury l’année dernière, présidente d’Un certain regard cette année).


Un contexte d’urgence qui interpelle la critique cinématographique du sud : pourrait-elle contribuer à l’œuvre de déconstruction de l’occident initiée, par exemple, par des intellectuels postcoloniaux de renom comme Edward Said ? Tout un espace conceptuel s’ouvre ainsi devant nous pour une révision culturelle (comme l’avait souhaité Paulin Soumanou Vieyra) des concepts/paradigmes : cinéma d’auteur/ cinéma populaire, les modes de fabrication de films, de leur diffusion et de leur distribution. P.S. Vieyra : « Le critique africain doit puiser ses critères dans la profondeur de notre culture africaine ; c’est à l’aune de notre tradition culturelle qu’il doit mesurer l’apport esthétique des films aussi bien africains qu’étrangers »

Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...