vendredi 2 septembre 2016

Livres de Abdallah Laroui

Leçon de choses
« Apparemment tout change sauf cette ambigüité »
A.L



« Lecteur paresseux, s’abstenir » ! Voilà bien  un avertissement à adresser aux lecteurs  et à mettre en exergue des deux nouveaux ouvrages du professeur Abdallah Laroui : « Le nationalisme marocain » et « Istibana ». Les deux livres non seulement prolongent un projet historique et philosophie qui a déjà fait ses preuves mais s’inscrivent dans une démarche nouvelle dans le parcours du professeur Laroui, incontestablement le plus grand intellectuel marocain vivant. Démarche nouvelle d’abord sur le plan éditorial et inédite dans la mesure où ce sont deux livres publiés quasi simultanément, l’un en arabe et l’autre en français mais tous les deux portés par la même interrogation autour de ce qui fait le nationalisme marocain. Le premier, Le nationalisme marocain porte les questions de l’auteur à deux grandes figures du nationalisme marocain, Abderrahim Bouabid et Allal El fassi, le deuxième transfert le même questionnaire (d’où le titre en arabe Istibana) vers l’auteur lui-même dans une sorte d’auto-interview. Un effet miroir instaurant un dialogue au-delà des générations, des postures et des contingences. De fait, ce miroir est tendu vers l’ensemble de la société marocaine, ses élites particulièrement et ce n’est pas du tout un miroir qui triche. Loin de tout narcissisme, de toute complaisance…il renvoie une image qui invite à réfléchir autour d’interrogations fondatrices.
On entre aisément dans les deux livres ; on les lit avec délectation…mais c’est une première couche d’impressions. Ce sont en fait des gisements qui évoluent en fonction de la relecture et des outils que l’on y met pour une recherche fructueuse. Ils font appel à un lecteur complice ; impliqué ; car les informations distillées le sont souvent par allusion, clin d’œil. Une lecture fondée sur un prérequis quasiment de nature encyclopédique. Un savoir partagé entre l’auteuret son lecteur. La première interrogation qui s’impose à la première lecture est : de quoi s’agit-il ?  Dans quel  genre on peut cataloguer les deux ouvrages ? Des essais autobiographiques ? Des essais d’histoire ?
Je m’étais déjà confronté à ce genre de questionnement face à un autre texte de Laroui, tout autant énigmatique « l’homme du souvenir », texte « dramatique » en arabe, présenté en couverture comme « dialogue télévisuel » et qui se laisse lire comme une pièce de théâtre et qui en fait se pose comme un texte hybride ou plutôt transgénérique.  Mais le plaisir est le même.
De quoi s’agit-il alors dans ce nouveau cas de figure ? Sur un plan éditorial, les deux ouvrages sont avares en paratextes : peu de références de contextualisation ; peu de notes infrapaginales…Laroui nous fait confiance y compris pour détecter le non-dit et les interrogations en suspens.
Le nationalisme marocain en termes de contenu, consiste en des notes prises par l’auteur lors de ses interviews avec Abderrahim Bouabid et Allal El Fassi . Interviews enrichis par des textes d’époque, tirés des archives de l’auteur notamment une lettre de Mohamed Al hajoui datée de 1933 et des extraits d’articles de robert Montagne et de l’orientaliste Evariste Lévi-Provençal. Pour Istibana, Abdallah Laroui nous donne cette indication «  j’ai pris la peine de répondre à mon tour, aujourd’hui, aux questions que j’avais posées à mes aînés ; j’ai jugé plus approprié de publier ces réponses à part sous le titre Istibana ». Deux livres, un même scénario. Un même enjeu : le nationalisme en général et le nationalisme marocain en particulier. Il y a l’empreinte de l’historien, du philosophe mais comme il le dit lui-même, c’est l’historien des idées qui en dernière instance a mené les commandes. Pour réfléchir : le nationalisme qui est l’idéologie naturelle de l’Etat-nation, est-il condamné à s’affaiblir pour finalement disparaître ?
Le Maroc est au cœur de ce débat : des Saadiens précurseurs d’un nationalisme vertical (nord-sud) aux nouvelles communautés virtuelles qui préconisent de nouvelles appartenances, ses atouts et ses doutes sont revisités avec distance certes mais aussi avec beaucoup d’empathie.

Mohammed Bakrim

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