Leçon de choses
« Apparemment tout change sauf cette
ambigüité »
A.L
« Lecteur paresseux, s’abstenir » !
Voilà bien un avertissement à adresser
aux lecteurs et à mettre en exergue des
deux nouveaux ouvrages du professeur Abdallah Laroui : « Le
nationalisme marocain » et « Istibana ». Les deux livres non
seulement prolongent un projet historique et philosophie qui a déjà fait ses
preuves mais s’inscrivent dans une démarche nouvelle dans le parcours du
professeur Laroui, incontestablement le plus grand intellectuel marocain
vivant. Démarche nouvelle d’abord sur le plan éditorial et inédite dans la
mesure où ce sont deux livres publiés quasi simultanément, l’un en arabe et
l’autre en français mais tous les deux portés par la même interrogation autour
de ce qui fait le nationalisme marocain. Le premier, Le nationalisme marocain
porte les questions de l’auteur à deux grandes figures du nationalisme
marocain, Abderrahim Bouabid et Allal El fassi, le deuxième transfert le même
questionnaire (d’où le titre en arabe Istibana) vers l’auteur lui-même dans une
sorte d’auto-interview. Un effet miroir instaurant un dialogue au-delà des
générations, des postures et des contingences. De fait, ce miroir est tendu
vers l’ensemble de la société marocaine, ses élites particulièrement et ce
n’est pas du tout un miroir qui triche. Loin de tout narcissisme, de toute
complaisance…il renvoie une image qui invite à réfléchir autour
d’interrogations fondatrices.
On entre aisément dans les deux livres ; on les lit avec
délectation…mais c’est une première couche d’impressions. Ce sont en fait des
gisements qui évoluent en fonction de la relecture et des outils que l’on y met
pour une recherche fructueuse. Ils font appel à un lecteur complice ; impliqué ;
car les informations distillées le sont souvent par allusion, clin d’œil. Une
lecture fondée sur un prérequis quasiment de nature encyclopédique. Un savoir
partagé entre l’auteuret son lecteur. La première interrogation qui s’impose à
la première lecture est : de quoi s’agit-il ? Dans quel
genre on peut cataloguer les deux ouvrages ? Des essais
autobiographiques ? Des essais d’histoire ?
Je m’étais déjà confronté à ce genre de questionnement face à
un autre texte de Laroui, tout autant énigmatique « l’homme du
souvenir », texte « dramatique » en arabe, présenté en couverture
comme « dialogue télévisuel » et qui se laisse lire comme une pièce
de théâtre et qui en fait se pose comme un texte hybride ou plutôt
transgénérique. Mais le plaisir est le
même.
De quoi s’agit-il alors dans ce nouveau cas de figure ?
Sur un plan éditorial, les deux ouvrages sont avares en paratextes : peu
de références de contextualisation ; peu de notes infrapaginales…Laroui
nous fait confiance y compris pour détecter le non-dit et les interrogations en
suspens.
Le nationalisme marocain en termes de contenu, consiste en
des notes prises par l’auteur lors de ses interviews avec Abderrahim Bouabid et
Allal El Fassi . Interviews enrichis par des textes d’époque, tirés des archives
de l’auteur notamment une lettre de Mohamed Al hajoui datée de 1933 et des
extraits d’articles de robert Montagne et de l’orientaliste Evariste
Lévi-Provençal. Pour Istibana, Abdallah Laroui nous donne cette
indication « j’ai pris la peine de répondre à mon tour, aujourd’hui,
aux questions que j’avais posées à mes aînés ; j’ai jugé plus approprié de
publier ces réponses à part sous le titre Istibana ». Deux livres, un même
scénario. Un même enjeu : le nationalisme en général et le nationalisme
marocain en particulier. Il y a l’empreinte de l’historien, du philosophe mais
comme il le dit lui-même, c’est l’historien des idées qui en dernière instance
a mené les commandes. Pour réfléchir : le nationalisme qui est l’idéologie
naturelle de l’Etat-nation, est-il condamné à s’affaiblir pour finalement
disparaître ?
Le Maroc est au cœur de ce débat : des Saadiens
précurseurs d’un nationalisme vertical (nord-sud) aux nouvelles communautés
virtuelles qui préconisent de nouvelles appartenances, ses atouts et ses doutes
sont revisités avec distance certes mais aussi avec beaucoup d’empathie.
Mohammed Bakrim
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