Lettre 2
Deux
figures féminines de notre temps
C’est la femme qui inaugure les récits de la compétition
officielle de la 15ème édition du festival de Marrakech. Ce sont en
effet deux figures féminines aux destins marqués du sceau de notre temps qui
portent les deux films de cette première journée riche en images. L’une nous
vient de l’orient extrême avec le film sud coréen, Steel flower et l’autre du moyen orient avec le film
iranien Paradise.
Un
cinéma de l’immersion
Le film du sud-coréen Park
Suk-young, Steel Flower renoue avec une
tradition narrative et thématique récurrente dans le nouveau cinéma sud-coréen,
découvert ici même à Marrakech, avec des protagonistes happés par les
conditions de l’insertion au sein d’un milieu hostile ou du moins difficile.
C’est une SDF que nous suivons dans une errance existentielle, au sens physique
du mot puisqu’il s’agit pour la jeune Ha-dam de trouver chaque soir un gîte et
de quoi se nourrir. N’ayant pas de téléphone ni de domicile fixe, toutes les
portes lui sont fermées ; sa quête prend les allures d’une errance dans un
univers nocturne, sub-urbain où les néons d’une lumière factice renvoient à
davantage d’enfermement, et de violence. Une violence sociale, celle de la
misère et de la solitude et une violence physique, celle générée par les
instincts de survie qui font que les marginaux et les faibles sont les plus
violents entre eux. La caméra de Park Suk-young nous embarque dans un récit où
la caméra colle au personnage, souvent de dos, selon un dispositif scénique qui
rappelle le procédé popularisé par les frères Dardenne, dans Rosetta. Un cinéma
de l’immersion qui fait que le spectateur est constamment intégré à cette
course effrénée, compagnon passif du personnage. C’est la bande son qui offre
une ouverture au drame. L’attention de Ha-dam sera attirée, en effet, par le
son de danseurs de claquette. L’issue du drame passera alors à travers
l’acquisition de chaussures adéquates ; mais après un long processus
initiatique, fait de violence et de révolte retenue (l’image finale de la houle
et de la mer déchaînée).
Sous le
voile, la braise
Hanieh est l’autre figure
féminine de cette première journée de la compétition officielle, héroïne
deParadise du jeune cinéaste iranien de Sina Ataeian Dena. C’est une
institutrice dans Téhéran d’aujourd’hui mais qui est appelée chaque jour, pour
rejoindre son école située dans une banlieue pauvre, à parcourir toute la
ville. Nous retrouvons la même dramaturgie structurant les deux films ;
celle de la quête. Si dans Steel flower la quête du personnage est orientée
vers l’acquisition d’un emploi et d’un abri ; celle de Paradise est d’être
mutée vers une école proche de son domicile. Mais ce qui intéresse d’abord dans
ce premier long métrage de Sina Ataeian Dena, c’est l’histoire du film
lui-même. Comme il le signale dans le générique de fin, c’est un film tourné
sans autorisation ; le tournage qui a duré plus de trois ans a usé de
différents stratagèmes y compris en combinant des scènes tournées dans de vrais
décors et d’autres fabriquées
numériquement. En somme, des images volées à l’instar du film Taxi de Jafar
Panahi. Le frère de ce dernier est d’ailleurs présent dans le générique du film
comme producteur. Le résultat est un constat accablant de l’Iran d’aujourd’hui.
Mais un constat qui refuse de s’enfermer dans les clichés véhiculés à l’égard
de l’Iran des Ayatollah. Si un voile noir pèse sur la vie sociale, le film va
au-delà du voile pour capter les signes de cette vie qui palpite comme le feu
de la braise sous la cendre. Centré autour de la figure de la femme, le récit
s’ouvre largement sur la réalité multiple d’une société en mouvement. A l’image
de ses écolières qui s’acharnent à jouer au football malgré les injonctions
morales de la directrice, chantent et dansent dans le bus du transport
scolaire. L’une d’entre elles rate même ce bus, un matin, car elle est revenue
à la maison chercher son vernis à ongle, pourtant strictement interdit. A
l’opposée du rythme infernal du film sud-coréen, ici, le récit s’offre des
moments de pause avec des scènes poétiques, des plans fixes de méditation…ou
avec des images en abyme comme quand Hanieh vient admirer, de temps en temps,
un aquarium : des poissons aux jolis couleurs mais qui se meuvent dans un
univers fermé.
Le film est en outre truffé de
clins d’œil aux films de ses aînés ; en matière d’engouement des jeunes
filles pour le football, cela nous rappelle, Hors jeu de Jafar Panahi qui
décrit comment une femme est amenée à se déguiser pour accéder au stade de
football. La scène où Hanieh se rase les cheveux n’est pas sans rappeler la
femme sans cheveux dans la voiture de Ten de Abbas Kiarostami…une sorte de
filiation artistique qui assure au film une autre forme de légitimité, qui en
fait un film iranien, même sans le visa de ses détracteurs bureaucrates.
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