Le cinéma bouge les lignes
"j'ai vu le film dans des conditions de projection relativement correctes, dans une copie validée par son auteur mais je m'abstiens à dire ce que j'en pense ou à formuler un avis critique - quoique j'ai accumulé pas mal de notes- tant qu'elle n'est pas levée l'hypothèque qui pèse sur son devenir. Je ne partage pas en effet l'attitude de certains amis et collègues qui réservent leur position car ils ne sont pas convaincus par les choix esthétiques opérés par le cinéaste. ce n'est pas à l'intérieur du film que l'on doit trouver les arguments pour défendre son droit premier à exister. tous les films naissent égaux, notamment dans le droit à rencontrer leur public. Après...le bon Dieu reconnaîtra les siens..."
D’une polémique l’autre : l’affaire Jennifer Lopez
va-t-elle éclipser l’autre affaire qui a emballé la toile, celle, non pas du
film de Ayouch mais des extraits de films, consommés sans modération, sans
vergogne et loin de toute déontologie (respecter au moins l’intégrité d’un
film) ? Tout indique, en effet que l’on s’achemine vers un
apaisement ; occasion pour les protagonistes de l’affaire d’opérer un état
des lieux du paysage au lendemain de cette empoignade qui a atteint des degrés
de violence inouïe. La séquence est close (momentanément ?) ; elle a
été ouverte par la mise en ligne d’extraits du film. Elle a connu une clôture
brutale par la décision ministérielle d’interdire la sortie du film au Maroc.
Il s’agit maintenant de lire ce qui vient de se dérouler dans la perspective de
tenter de lui trouver du sens. On peut en effet postuler d’emblée que le film
de Ayouch avant même sa sortie a fonctionné comme un formidable révélateur de
la société marocaine, ici et maintenant. Ses angoisses, ses contradictions et
ses dysfonctionnements. On est parti d’un
événement cinématographique pour arriver à un phénomène de société qui restera
longtemps dans les annales.
Pourquoi parler d’apaisement ? Il est nécessaire
d’aller, je dirai même de militer dans ce sens car il y a péril dans la
demeure. Des risques de dérapages non contrôlés pointent déjà à l’horizon. Lors
d’une rencontre privée avec Nabil Ayouch, il développe aussi un raisonnement
similaire. « Le plus important aujourd’hui pour moi est d’assurer la
sécurité de mes collaborateurs qui sont agressés dans leur vie privée,
reçoivent des menaces et sont harcelés ». Pour la suite à donner à la
décision d’interdire son film, il dit que pour le moment il va réfléchir en
attendant que les choses se calment, rappelant son attachement à voir le film
sortir au Maroc « c’est pour mon premier public, Les Marocains que j’ai fait
ce film ». Il n’a pas exclu la
possibilité de proposer le film à la commission de visas de sortie du CCM,
« pour le moment je n’ai reçu aucune notification officielle de
l’interdiction du film ; le communiqué du ministère n’ayant aucune valeur
juridique. »
Lors de cet entretien
informel, il a précisé que les extraits mis en ligne sont le fait d’un concours
de circonstances complétement indépendants de sa volonté ; « certains
ont cru y dévoiler un coup de marketing de ma part, alors que je n’y suis absolument
pour rien ». Les extraits en question étaient accessibles sur le site de
la Quinzaine des réalisateurs, une des sections de Cannes où le film était
sélectionné. C’est à partir de là que des fuites ont été organisées. Il a rapporté aussi un cas de vol opéré dans
sa société de production d’extraits de rushes et ont été présentés comme le
film ; « je ne sais pas qui est derrière cela ; ce qui est sûr, c’est
qu’il s’agit de quelqu’un qui cherche à nuire au film. De toutes les façons,
avec mon avocat, nous avons décidé de porter plainte ». Revenant sur le
film lui-même, il reconnaît qu’il y a abordé le sujet d’une manière nouvelle
« ce n’est pas comme dans mes autres films où il y a un point de départ et
un récit qui tend vers un point d’arrivée. Much loved est écrit comme une
chronique sociale basée sur un long travail d’enquête. Ce n’est pas un
documentaire sur la prostitution au Maroc ; c’est des tranches de vie de
quatre jeunes femmes acculées à vivre un calvaire permanent ».
La réception du film a été parasitée par l’emballement des
réseaux sociaux. Ils ont été instrumentalisés au bénéfice d’une position
liberticide. Cela vient confirmer des analyses qui ont décrit comment les
nouveaux gadgets de la modernité sont devenus des outils d’action des ennemis
de la modernité. Le contexte culturel et idéologique a d’ailleurs complétement
changé. « La bataille de Much moved »
qui n’a pas livré tous ses épisodes, intervient en effet dans un contexte
marqué par le tournant conservateur caractérisant notre société depuis les années
80. La caractéristique fondamentale, majeure étant la retraditionnalsiation des
meurs, non seulement au Maroc mais dans l’ensemble des pays que Sophie Bessis
appelle « l’arc arabo-musulman ». L’une de ses illustrations est le retour
du bâton moral qui atteint l’ensemble de ce que la spécialiste du
totalitarisme, Hannah Arendt, appelle « la sphère
prépolitique » : la société civile qui avait porté en triomphe Nabil
Ayouch au début des années 2000 avec le choc esthétique et politique engendré
par son film Ali Zaoua et en a fait son emblème, a basculé de l’autre côté de
la barricade.
1 commentaire:
Beaucoup de bon sens et de prudence éclairée. Je suis d'accord avec la formule : "tous les films naissent égaux..." Après... c'est une autre histoire ...
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