Le voyage fut long, très long. J’ai
quitté chez moi à 9h30, le lundi pour atterrir finalement dans ma chambre d’hôtel
– le Jumeirah beach- à 4h du matin du lendemain. Le trajet en soit ne fut pas
très pénible. L’avion a décollé avec un léger retard, c’est un Boeing immense, l’un des derniers 777. Beaucoup de monde mais
les sièges à côté de moi resteront inoccupés. Je vais m’apercevoir beaucoup
plus tard que ce sera une bonne chose pour… mes jambes.
Je m’occupe un temps à admirer le ciel
marocain et surtout les cimes enneigées du moyen atlas...et puis c’est la vitesse
de croisière et la nuit ; j’imagine la méditerranée en dessous, toujours chargée
de récits tragiques et, ici et là, de lueurs de lumières. Je somnole un peu ;
puis je me résigne à consulter les programmes de divertissement offerts par la
vidéo de bord. Je clique sur le menu cinéma ; je trouve non sans plaisir
un film marocain dans la liste proposée. Il s’agit de Mains rudes de Mohamed
Asli ; ce n’est pas son meilleur. Je revois la belle séquence d’ouverture,
très cinématographique et qui s’arrête pour moi avec la scène de l’arrivée de
Bastaoui et son collier de beignets. Après, ce sera un téléfilm plein de stéréotypes
en termes d‘images ; et très conservateur en termes culturels. Je zappe
vers les spécialistes du divertissement : je commence avec le film égyptien
6 7 8, sur le harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes dans les
moyens de transport publics ; je retrouve les mêmes points forts
classiques du cinéma du Nil : scénario bien structuré, cast de choix et
moralisme gratuit. J’enchaine avec deux films américains, Seeking justice avec
Nicholas Cage et the Hunter avec William Defoe. Cela me mènera sans m’en rendre
compte jusqu’ au terrain d’atterrissage de l’aéroport de Dubaï. Il est 2h du
matin locales, 22h à Casablanca ! Bonjour le décalage horaire.
L’accueil est personnalisé. Type VIP. Je
suis dans le même avion avec l’équipe du film de Zéro, Nour-Eddine Lakhmari en tête,
accompagné de ses acteurs Si Mohamed Majd et le jeune et prometteur Anas Bouab.
L’aéroport est immense comme est vaste l’autoroute rapide qui mène à l’hôtel. Pourquoi
des petits pays en termes de superficie, s’adonnent à des projets gigantesques,
pharaoniques : des tours, des hôtels… tout est grand alors que chez nous
avec un espace plus grand nos autoroutes sont étroites, nos aérogares exigus.
Il faut chercher l’explication, peut-être du côté de la psychanalyse et de
l’anthropologie culturelle ; je suis convaincu que le pétrole n’explique
pas tout. Je suis frappé par le calme et la sérénité des gens sur place. Pour
moi qui viens d’une ville bruyante, c’est mon premier dépaysement. Quand je dis les gens, je parle de rares autochtones
rencontrés car tout le personnel est asiatique. Depuis l’aéroport, tous les
services sont demandés en anglais.
La première nuit, je la passe non pas
dans une chambre mais dans un vrai appartement. Je demande à changer ; c’est
trop vaste ! Les baies vitrées de ma nouvelle chambre donnent sur le Golfe
et sur l’incontournables Bourj Alaarb que l’on voit de partout.
Ma première journée se passe à découvrir
les sites du festival et à rencontrer mes amis : des Libanais, notamment
le cher Hauvick qui passe d’un festival à un autre à travers la planète comme
on tourne les pages d’un magazine de cinéma…des Egyptiens, des Tunisiens, des Camerounais,
des Algériens et des Marocains aussi. Il y a, en effet, une importante présence
marocaine, des cinéastes (il y a au moins trois films en compétition) des
professionnels de la production et de la distribution ; des cinéastes de
la diaspora…Une remarque qui ne veut rien dire peut-être : j’ai constaté
que les festivals du Golfe (Dubaï, Abu Dhabi, Doha) aiment beaucoup inviter les
cinéastes d’origine marocaine installés dans différents pays du monde ;
cela apparaît aussi au niveau des palmarès…Bizarre,
Pour accéder aux salles de projection, le
badge ne suffit pas ; il faut aller prendre son billet à l’avance. Un
journaliste dûment accrédité doit en permanence aller réserver ses billets au
risque de rater des films importants. Si l’on prend son billet et on
« oublie » de se présenter à la projection choisie, on reçoit un
message de rappel et d’avertissement. Si cela se répète, l’accréditation est
tout simplement bloquée. C’est presque du contrôle scolaire mais je trouve que
c’est une forme de rigueur pertinente qui conviendrait a nos festivals où les
gens se prennent pour des invités de centres de vacances et viennent dans les
salles un peu par hasard sans aucun effort. Pour la première séance du film Zéro,
impossible de trouver son billet. J’avais
presque envie, ayant déjà vu le film, de dire merci à la jeune indienne qui me
signala l’information ; c’est toujours un plaisir de voir l’engouement du
public pour un cinéma différent. Cet intérêt se répétera aussi pour la deuxième
projection : apparemment ici aussi Lakhmari a son public.
Mon film de la journée est un film égyptien
atypique, Moondog ; il signe le retour de Khairi Bichara au cinéma après
une longue éclipse. Je suis allé le voir avec un réel plaisir ; Bichara est une figure historique de ce que la
critique avait présenté comme le nouveau cinéma dans les années 70 ; son
film Collier et bracelets avait beaucoup circulé dans les ciné- clubs. Ici, il renouvelle complètement de registre,
embrasse la nouvelle technologie de prise d’images et offre ce que je
qualifierai, faute de mieux, d’un ciné-journal de ses années américaines,
mettant en scène des membres de sa famille et où il s’imagine être incarné dans
un chien. Les images sont belles et la bande musique est tout simplement
sublime ; mon amie, la productrice marocaine Lamia Chraibi, me précise que
c’est le fils de Bichara qui a composé la musique du film. Chapeau !
Devant
le gigantisme ambiant, la débauche de moyens....IMPRESSIONNANT est le mot que ne cesse de répéter le touriste qui
sommeille au fond du cinéphile. J’apprends de la part d’un collègue libanais,
vieux routier de la critique, longtemps installé à Londres et New-York et qui a
finalement choisi Dubaï comme destination de résidence, que la capitale émiratie
est classée 78 sur 200 comme ville agréable à vivre ; et elle est première
ville arabe, suivie d’Abu Dhabi. Un peu
jaloux, je ne cherche même pas à savoir le classement de ma ville chérie,
Casanégra... heu… pardon, Casablanca. Au petit déjeuner, mon ami algérien est
plus sceptique : au moins ici, dit-il, on voit où va l’argent du pétrole !
Il sait de quoi il parle. Dubaï est une vraie leçon de choses pour nous maghrébins...Au
cinéma, c’est une autre histoire. Dubaï est équipée en salles multiplexes ancrées
dans de gigantesques centres commerciaux. Pour une population dix fois moins
que la population du Maroc les Emirats comptent 299 écrans, dix fois plus que
nous ! Les conditions de projections sont plus que correctes ; la qualité
de l’image et du son est impeccable mais les odeurs de nourritures fastfood
polluent l’atmosphère. Le public est bon enfant. Dans le catalogue officiel du
festival, je suis surpris de voir de
curieuses précisions qui suivent chaque fiche du film ; pour Zéro, par exemple, je lis (kalimat nabia.
3ary. Jinss, et il n’est pas le seul à être présenté ainsi) et il est interdit
au moins de ...18 ans. Un film porno le serait-il alors pour les moins de
40 ans?????? Mais attention, ces précautions de sagesse n’indiquent en rien une
forme de censure, c’est juste une information pour les familles, sinon les
films sont présentés dans leur intégrité comme ce très beau film portugais
Tabou avec de belles scènes érotiques reçues dans la plus grande sérénité.
Sortant
peu à peu des dommages collatéraux du décalage horaire, mon rythme de vision de
films a atteint son rythme de croisière : je suis passé rapidement d’un
film à trois films par jour...la programmation est importante (plus de 150
films), très éclectique et répond a des soucis multiples : les nouveautés internationales ;
les compétitions arabes, afro-asiatiques et le cinéma émergent du Golfe et
surtout le cinéma hindi omni présent, of course, la communauté du sous-continent
indien est majoritaire au sein des populations immigrées.
Le cinéma
marocain est présent avec force ; avec des surprises, agréables, comme ce
documentaire, Femmes sans identité, qui nous vient de Finlande signé par le
jeune Mohamed Laaboudi (il est de nationalité australienne, immigré en
Finlande !!!!) ; le documentaire suit sur deux ans, avec délicatesse
et empathie le destin tragique d’une jeune mère célibataire acculée, par
l’intolérance et la bureaucratie, à vendre son corps. Le film restitue avec humanité,
les gestes d’une mère désabusée et d’une femme écrasée. Femmes sans identité, retenez
bien ce titre: il fera beaucoup de bruit. J’espère qu’il sera retenu pour la
prochaine édition du festival national du film. Hakim Belabbes continue son
rythme régulier de présenter un nouveau film et une nouvelle démarche ;
nouvelle mais tout en gardant le cap d’un nouveau cinéma qui transcende les frontières
des genres et des modes de production. Dans ce sens, son nouveau film, Vaine
tentative de définir l’amour, est un délice comme un biscuit léger et tonique.
Cette forme presque ludique de faire du cinéma en interrogeant sans cesse les
outils du cinéma aborde ici des questions stratégiques en termes de
construction de scénario, de direction d’acteurs, de rapports au réel, et de positionnement
par rapport à l’imaginaire d’une société ; le prétexte cette fois est la légende
d’Isli et de Tislit. Cette belle histoire de dépit amoureux qui donna lieu a
des flots de larmes donnant naissance à deux lacs situés au milieu de hautes
montagnes ; le film est un hommage à cet espace et aux hommes (et femmes)
qui l’habitent. Quant au récit lui-même, il se construit devant nous en amont
avec la recherche du sujet : cette histoire de conflit tribal empêchant un
mariage entre jeunes amoureux a-t-elle eu vraiment lieu? La population
interrogée est sceptique. On pense alors à John Ford de Liberty Valance qui dit
entre la légende et les faits, gardez la légende. Hakim choisit de la mettre en
scène ou plutôt de la mettre en épreuve en demandant à ses acteurs (les deux
sont de magnifiques trouvailles) de la mettre en scène. Exercice délicat qui
aboutit à l’impasse et à une forme d’autocritique: le téléphone que le cinéaste
reçoit de sa comédienne à la fin du film dans le film est un vrai bilan en
forme de miroir sonore !
Je sors
d’un beau film algérien Yemma de Jamila Sahraoui, véritable tragédie antique
ayant pour décor les Aurès de l’est algérien où une mère est confrontée au dilemme
tragique de deux fils partagés par la guerre civile...je sors de ce film pour
rattraper le débat de Lakhmari dans une salle à côté. La salle est comble pour
cette deuxième présentation du film. Lakhmari, Majd et Bouab sont félicités et
le débat revient sur l’éternelle question du rapport du cinéma et du réel. Un
marocain résident à Dubaï, se soucie de l’image du Maroc véhiculée par ce genre
de films. On sent que la télévision est passée par là ayant phagocyté le regard
et formaté les modes de représentation. Lakhmari et ses comédiens se défendent
bien. De toutes les façons, tout le monde relève l’originalité, la diversité du cinéma marocain et surtout sa
liberté de ton. Ceci dit beaucoup de boulot nous attend: et le monde lui
n’attend pas.
Dîner chez Paul. Non, ce n’est ni à Rabat, ni à Casa
; mais c’est au sein de cet immense mall émirati, véritable ville dans la
ville, que je tombe enfin sur ce coin relativement francophone. Une aubaine
pour moi dont l’anglais est juste utilitaire ; trouver des indications en français sur la carte me soulage un peu ; mais c’est
en anglais qu’il faut s’adresser au personnel....coréen. Comme partout, l’anglais
est de rigueur. Il faut, en effet, souligner cet aspect plus que positif de la tolérance linguistique
qui caractérise les rapports humains à Dubaï. L’anglais est dominant : la présentation
des films, les débats qui suivent les projections, les sous-titres des
films...tout est en anglais. Quand je pense à la guerre civile linguistique
permanente que nous vivons au Maghreb, je comprends en partie pourquoi nous
sommes en retard et pour quoi ils se sont développés (pour reprendre la célèbre
formule d’un des théoriciens de la Nahda arabe). Peut-être que la proximité avec l’Inde
y est pour quelque chose ; le pays et la nation qui a reconnu ses
centaines de langues nationales et leur donne une place de choix dans l’espace public.
Cette ouverture d’esprit en matière de langue est un aspect sur le rapport à l’autre
notamment à l’expertise internationale qui est convoquée ici sans complexe. Le
festival de Dubaï est dirigée par une tête pensante locale, notamment l’incontournable
Massoud Amrallah Al Ali, le directeur artistique du festival ; l’homme qui
voit 700 films par an. Personnage affable et d’une grande modestie que l’on
croise partout et qui n’hésite pas à venir par exemple saluer un jeune cinéaste
marocain pour le féliciter pour les qualités humaines de son film, avec des
détails qui indiquent qu’il a effectivement vu le film ! Cette direction
locale fait appel à des experts de nationalités différentes ; les
conseillers du festival appartiennent aux quatre coins de la planète et le
personnel actif est majoritairement libanais, égyptiens, syriens ...les Marocains
arrivent et font leur percée...il y a une sorte d’imprégnation par le pragmatisme
de la culture anglo-saxonne qui fait qu’on se situe plus du côté du résultat
que de l’idéologie ... Un mode de gestion à méditer quand on sait que la compétition
est appelée à être encore plus ardue entre les nations, les pays, les festivals.
Bien sûr il ne s’agit pas d’être dupe, encore mois de faire preuve de naïveté
ou encore de jouer à Alice au pays des merveilles. Tout choix de gestion est porté par un choix
de société voire de civilisation. Et là il ya beaucoup à dire mais ce n’est pas
le sujet. Celui-ci étant comment parvenir à mettre de notre côté toutes les
chances et toutes les expériences susceptibles de parvenir à notre propre modèle:
efficace, tolérant et humaniste. Est-ce
d’ailleurs le message en filigrane du beau film japonais, The land of hope.
C’est peut-être le premier film nippon post Fukushima. Il aborde la tragédie du
Tsunami dans une approche intime, minimaliste. On sait que le Japon a été un
grand producteur de films catastrophes.
C’est un cinéma qui a abordé toutes les tragédies imaginables : invasion,
tremblement de terre, immersion...The land of hope est aux antipodes de cette
approche, il filme les déchirures d’une famille de paysans éleveurs dont la
ferme est située à la limite de la zone d’évacuation atteinte par les
radiations émanant de l’accident nucléaire engendré par le tsunami. Un vieux couple, leur enfant ainé dont la femme
attend un bébé ; tout cela filmé avec humanité, peu de moyens, la
catastrophe reste en hors champ et la déchirure omniprésente. Très beau dans
son pessimisme même.
Dans cette boulimie de films, j n’oublie pas le
court métrage. Oublié est, en effet, un
risque qui meuble l’horizon de ce format cinématographique surtout au sein de
festivals gigantesques où il est écrasé par de méga évènements. J’assiste donc à
un module où se trouvent des films que
j’avais vu à Tanger, notamment le beau
Valse avec Ismahane de Samia Charkioui et La route devant moi de Mahe (France).
Ce sont les deux films qui se démarquent du lot de cinq films que j’ai vus ce
soir-là. Le reste étant très approximatif ou très idéologique comme le film
syrien. Par contre je découvre tard dans la soirée un film présenté au nom du
Maroc, Casablanca mon amour de John Slaterry. C’est un film hybride, un vrai
bricolage d’images ; se réclamant de la démarche du free cinema british
mais le résultat est très décevant. Il est porté par l’intention de revisiter
l’image du Maroc via son rapport à l’imaginaire hollywoodien. Il suit, pour ce
faire, deux jeunes à travers le Maroc sous prétexte que l’un d’eux va retrouver
son oncle. Quand il arrive, c’est trop
tard ! Cela peut être aussi la conclusion du film : pleins de
contresens et de contre-vérités, il joue à fond la carte de l’ambiguïté ;
utilisant le point de vue des deux personnages pour leur faire dire ce que le
film ne veut pas ou n’ose pas dire (exemple : les propos sur le festival de
Marrakech) ; le titre du film, très accrocheur, a ramené un important
public de la communauté marocaine de Dubaï. Beaucoup d’entre eux se sont sentis
piégés. Ils n’ont pas aimé le film et l’ont fait savoir avec virulence au réalisateur
qui n’a pas daigné leur répondre. Comme dirait Mahmoud Darwich, il y a des
amours dont on aimerait bien se passer.
C’est l’heure du bilan et du palmarès. Comme, je
l’avais suggéré supra, c’est un film marocain de la diaspora qui a été
distingué. Khoya (My Brodher) de Kamal Mahouti a obtenu, en effet, le prix du
meilleur réalisateur arabe. Kamal Mahouti revient de loin. Ce projet qui lui
tient à cœur remonte très loin. C’est le premier travail de ce cinéphile avant
tout qui dirige un sympathique festival dans la région parisienne. Khouya est
une double réflexion culturelle et cinématographique sur la question de
l’identité. Un jeune peintre, issu de l’immigration marocaine, traumatisé par
la perte d’un frère, tente de restituer sa mémoire et son moi à travers un
conflit latent et apparent avec le père. La symbolique est très forte, parfois
au premier degré. Le film reflète dans son écriture même cette dualité et cette
perte. Le coût en termes de cohérence narrative et esthétique est patent. Le
jury a été sensible à l’intention. Le Prix de la critique internationale, Fipresci, est allé à Yemma de
la cinéaste Jamila Sahraoui. C’est très cohérent, le film séduit par la qualité
de ses images et la structure tragique de son scénario. L’Arabie Séoudite, dans
un film coproduit avec les Emirats et l’Allemagne remporte le Prix du meilleur
film arabe, Oujda, signé par Haifae Almansour, une touche sensible et un récit
qui renvoie à l’univers d’une certaine esthétique du film d’enfant iranien.
La carte cinématographique du monde arabe n’est plus
ce qu’elle était. La multipolarisation est née. Le monopole égyptien vole en
éclats. Au Maghreb, au Moyen orient, au Golfe…la diversité creuse son sillon.
Le retour, en somme, à une certaine logique de la géographie et de la culture.
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