lundi 4 mai 2015

le cinéma social au Maroc


Les enjeux politiques et esthétiques

Premier mai oblige ; mais pas seulement. Oui, il est pertinent de partir de la fête internationale des travailleurs pour interroger les rapports que le cinéma marocain entretient avec le social. Mais le hasard fait aussi élargir ce contexte à l’actualité du cinéma lui-même : parmi les films marocains actuellement à l’affiche deux revendiquent frontalement un ancrage social explicite. Le premier long métrage de Mourad Khoudi, Formatage élabore un thriller sur fond de manipulation psychologique qui rappelle les affres subis par les habitués du sanctuaire dit Bouya Omar. Et Les griffes du passé M. Abdelkrim Derkaoui, a pour toile de fond un fait divers social célèbre en rapport avec le viol de mineure suivi de mariage arrangé. Toujours à propos de l’actualité du social dans notre cinéma et cette fois sur un autre registre. Il y a en effet la déclaration de Nabil Ayouch inscrivant son film, Much loved, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes dans le genre « du réalisme et du naturaliste », anticipant toute classification critique future à l’égard de nouvel opus.
Nous sommes en quelque sorte d’emblée dans le vif du sujet. Le social a toujours constitué une des caractéristiques du cinéma marocain. Voie l’un de ses ponts forts qui lui ont assuré une réception publique très large et très populaire. Le tournant des années 90 qui a ouvert la voie du succès aux films marocains chez lui a été, entre autres facteurs déterminants ce que nous avons qualifié de la prégnance du « scénario de proximité ».  A savoir la récurrence de la thématique sociale au premier degré, y compris en surfant sur des sujets qui font justement la Une des médias : je cite la condition de la femme et l’immigration clandestine.
D’un point de vue historique, on peut rappeler rapidement que le court métrage marocain des années 1960 avait déjà instauré la tradition d’un cinéma ancré à une thématique sociale et avec une finalité de faire du cinéma un vecteur de communication et de sensibilisation sociale. Cela passait principalement par le biais d’un genre, le documentaire.  Quand le temps des longs métrages de fiction est arrivé, le social a continuer à marquer la production quoique rare des années 1970. Soleil de printemps de Latif Lahlou est annonciateur de cette voie. Elle sera suivie avec des fortunes diverses par d’autres cinéastes.
Cependant, je voudrai rapidement souligner que parler d’un « cinéma social » ouvre sur un vaste champ de réflexion. Comment définit-on « un cinéma social » ; quand est-ce qu’un film peut-être inscrit dans le registre du cinéma social ? Il me semble qu’il est temps d’interroger le cinéma marocain à partir de cette problématique. D’abord parce qu’il a accumulé un corpus suffisamment important sur le plan quantitatif et assez diversifié sur le plan de ses choix thématiques et esthétiques, pour tenter d’y mettre de « l’ordre » d’un point de vue théorique. La réflexion de Nabil Ayouch sur « le naturalisme » devrait aiguiser l’appétit des critiques à creuser dans ce sens.
A partir de quel moment on peut parler d’un cinéma social : la présence de personnages issus de milieux populaires ? (les enfants de la rue dans Ali Zaoua) ou parce que l’action se déroule dans un milieu défavorisé ? Les prostitués de Much loved du même Ayouch.
Peut-on alors en conclure que nous sommes en présence d’un cinéma social chez Ayouch ? En attendant d’y revenir, à la sortie du nouveau film d’Ayouch, nous précisons que les deux critères cités ne suffisent pas à définir le cinéma social. Les questions à poser au film sont non seulement « qui filmer ? » (Personnages) ; « où filmer ? » (Milieu, social et physique) mais surtout « comment filmer ? » Car quand on décide de placer la caméra pour capter un sujet, il s’agit bel et bien d’une prise de position cinématographique et politique.






Je cite de mémoire une très belles scène dans le film Mille mois de Faouzi Bensaïdi (2003). Le fils en prison pour raison politique, laissant l’épouse femme au foyer et un enfant écolier, son père, incarné par Mohamed Majd se voit dans l’obligation de chercher des solutions. Il cherche du travail dans un chantier. La caméra l’accompagne avec tout un groupe de travailleurs. La scène démarre avec l’arrivée des camionnettes qui transportent les ouvriers. La scène est très animée ; cela bouge beaucoup ; on entre et on sort du champ. La caméra isole un contremaître qui donne des ordres : on n’entend pas de voix ; tout est visuel et sonore. Les hommes n’existent plus ; ils sont des entités matérielles. Le contremaître se dirige vers le portail du chantier ; il est filmé de biais, point de vue neutre (narrateur omniscient) et en plan large permettant de voir d’autres ouvriers qui viennent pour entrer chercher du travail. Le chef du chantier donne l’ordre de fermer les portes. Le compte est bon pour lui. D’autres ouvriers sont restés de l’autre côté de l’enceinte du chantier criant leur colère. La caméra de Faouzi Bensaïdi opère alors un vaste mouvement qui lui permet de passer de l’autre côté et de rejoindre les ouvriers qui protestent. Non seulement, elle les rejoint, mais intègre leur rang et épouse leur point de vue : la scène de la porte fermée est vue cette fois du côté de ceux qui sont exclus. 



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