jeudi 21 mai 2015

le cinéaste qui offrit au Maroc sa Palme d'or

le centenaire d'Orson Welles



La planète cinéphile célèbre le centenaire (06/05/1915- 10/10/1985) de celui qui passe pour le génie du cinéma au 20ème siècle : Orson Welles. Un anniversaire qui interpelle aussi le monde du cinéma au Maroc. Et ce à plusieurs titres.  C’est lui, en effet, qui n’a pas hésité en 1952 à présenter son film, Othello, à Cannes sous les couleurs marocaines. Othello obtint la Palme d’or permettant au Maroc de figurer dans les annales du prestigieux festival français. Un geste qui dit parfaitement l’homme. Face aux difficultés qu’il avait rencontrées à tourner le film, notamment sur le plan financier, il décida de dédier le résultat final au pays qui avait abrité le tournage. Un tournage tumultueux qui a duré près de deux ans, et le montage lui prit un an.  C’est la ville d’Essaouira qui a donné ses décors pittoresques et ses paysages brumeux au récit du héros maure, à son récit shakespearien censé se dérouler à Chypre. Une plaque commémorative de ce passage historique se trouve dans une place de la ville. La cinéaste marocaine Selma Bergach, n’a pas hésité dans son premier long métrage, La cinquième corde à faire dans une scène du film un clin d’œil-hommage à cette séquence historique.
 Le pionnier du cinéma marocain Mohamed Osfour a fait partie de l’équipe technique du film à la fin des années 40. Et le cinéaste marocain Latif Lahlou nous a rapporté qu’écolier il avait assisté, accompagné de ses camarades de classe et de leur maître cinéphile à El Jadida, au tournage d’une scène du film (à la Cité portugaise) ; précisant même que cette ambiance de tournage lui avait donné l’envie de faire du cinéma plus tard. C’est pour dire que cet anniversaire est aussi un événement marocain. Dommage qu’aucune chaîne de télévision ni un ciné-club n’aient pensé à programmer une séance spéciale d’Othello en souvenir de cette belle histoire qui fait de notre pays le premier palmé d’Afrique ! D’autant plus que le film est un pur chef-d’œuvre qui offre une belle synthèse du travail d’Orson Welles alliant profondeur dramatique et l’exploration de toutes les possibilités de l’image et de la mise en scène filmique.
Cinéaste de la modernité
Orson Welles est venu au cinéma très jeune. Il a commencé par faire du théâtre. Et du théâtre radiophonique. Il est rentré dans l’histoire de ce média pour avoir fait trembler selon la légende, rien que par les faits sonores, les foules sorties dans les rues croyant à une invasion terrestre, après avoir entendu Orson Welles et son émission à la radio. C’était en 1938. Au début des années 40, il rejoint Hollywood où il tourne son chef-d’œuvre absolu, Citizen Kane. Tourné à partir d’un scénario original (pour lequel il obtiendra un Oscar) inspiré de la vie d’un magnat de la presse, le film va constituer un tournant. Pour de nombreux historiens du cinéma, deux films vont constituer l’acte inaugural de la modernité cinématographique : Citizen Kane (1941) d’Orson Welles et Le voleur de bicyclette (1948) de Vittorio de Sica.
Citizen Kane est l’un des films les plus analysés de l’histoire du cinéma. Il offre en effet une épaisseur esthétique et artistique digne d’un gisement d’un minerai rare. Par rapport au cinéma dominant de l’époque marqué notamment par l’usage quasi académique du champ –contre champ (dans un dialogue par exemple, la prise de vue alternée), Welles va introduire une nouvelle forme de découpage sur la base de la profondeur du champ et du plan séquence. La caméra étant souvent fixe, se  contentant de « voir » le monde. Ce ne sont pas de simples modifications techniques. Nous sommes en présence d’un nouveau protocole de réception filmique. André Bazin note à ce propos : « Elle affecte (la profondeur de champ), avec les structures du langage cinématographique, les rapports intellectuels du spectateur avec l’image, et par là même elle modifie le sens du spectacle » (in Qu’est-ce que le cinéma, page, 75).
Le film est une « œuvre ouverte » ; elle offre plusieurs possibilités de lecture, n’épuisant jamais le sens. Le mystère étant au cœur du système qui la porte. A l’image de la mythique scène d’ouverture portée par l’énigmatique « Rosebud » prononcé par le personnage sur son lit de mort. Déjà pour arriver à cette scène la caméra avait opéré un inoubliable plan séquence qui traverse une enceinte en transgressant un interdit (no trepassing) affiché sur la porte de ce lieu mystérieux). La philosophie du film était là.

Autre séquence mémorable, celle de la séparation quand le banquier vient chercher le jeune Forest.  Outre sa dimension symbolique, quasi freudienne à laquelle renvoie la figure de la mère, cette séquence reste dans les esprits par sa construction visuelle où domine un schéma triangulaire : le père silencieux, la mère qui mène le jeu des négociations et le banquier. L’enfant présent tantôt dans le hors champ tantôt dans la profondeur de champ va se retrouver par un formidable mouvement d’appareil au centre du triangle. Au début de la séquence on découvre l’enfant jouant dehors dans la neige. Seul : solitude du héros futur ? La caméra recule et entre par la fenêtre pour nous faire découvrir le trio qui va décider du devenir de l’enfant présenté déjà : on continue à le voir, dans un très beau plan en profondeur de champ. Très vite cependant, le rapport de forces va être explicité pour mettre en avant le rôle de la mère. Tout est dit visuellement. Un personnage va naître dans la rupture. Une esthétique nouvelle aussi, celle du cinéma moderne. 

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