mardi 23 septembre 2014

Le proche et le lointain de Hassan Rachik

Le Maroc comme expérience anthropologique
Il y a beaucoup de clichés qui circulent comme vérité sur le caractère des uns et des autres : dans le jargon quotidien et loin des sphères scientifiques, on entend souvent des généralités sur les caractéristiques de l’une ou l’autre, des communautés composant une nation. Sur les Soussi, sur les Marrakchis…on lance des boutades comme des énoncés avérés. Ces productions ne sont pas cependant une exclusivité des plaisanteries du café de commerce ; elles finissent par contaminer le regard du chercheur qui vient appliquer sa grille de lecture à une société donnée. Ce chercheur très particulier – car formé dans un contexte socio-culturel précis et qui va porter et expérimenter sa science ailleurs sur une autre société -  s’appelle anthropologue. Il arrivé aussi que cet anthropologue retourne ses outils sur son propre terrain, celui de sa société. C’est sommairement résumées les problématiques que traversent et portent le parcours d’un anthropologue marocain de renommée internationale, Hassan Rachik dont nous présentons l’un des derniers livres, Le proche et le lointain, un siècle d’anthropologie au Maroc (Editions parenthèses, 2012, 270 pages).
D’emblée, l’ouvrage paraît austère, avec sa couverture sobre, son format relativement volumineux. Mais ce n’est qu’une impression. Un seuil de lecture qui renvoie à une rencontre inédite, du genre de celle qu’il aborde comme sujet. La rencontre avec le livre de Hassan Rachik est une mise en application d’une idée fondatrice qu’il développe dans son travail,  celle de « situation ethnographique ». Le travail de l’anthropologue est tributaire en effet de « la situation ethnographique », les conditions pratiques dans lesquelles se fait la rencontre, l’observation de la culture de l’autre…elle implique nous dit Hassan Rachik plusieurs dimensions : la durée, la maîtrise de la langue de l’autre. Comme avec les livres, c’est toujours un voyage. Et le livre, Le proche et le lointain, une fois ce seuil franchi, nous captive dans un récit passionnant car porté par une qualité intrinsèque : un style limpide et didactique. La langue est académique sans être rébarbative. Hassan Rachik est l’un de nos plus brillants chercheurs en sciences sociales, professeur à l’université Hassan2 de Casablanca depuis 1982 ; ses travaux connus par leur rigueur méthodologique et leur consistance intellectuelle lui ont assuré une renommée internationale et au Maroc l’une des références les plus crédibles quand il s’agit de décrypter le « social » quand il devient « sociétal » ou politique (cas du pouvoir symbolique ou de la religiosité). Homme de recherche et de production théorique, Hassan Rachik est un cinéphile de la première heure, à l’époque de l’âge d’or des ciné-clubs (il était une des figures du ciné-club Al Azaim à la  mythique salle Kawakib du Boulevard Fida de Casablanca).
Il aime se présenter lui-même comme « un anthropologue citadin qui s’intéresse au monde rural ». Son travail est marqué, avec les précautions d’usage à l’égard de tout schématique, par deux phases. Une phase dite « du terrain » où il a beaucoup travaillé dans le haut Atlas et dans les régions de Zemmour. Notamment autour des problématiques concernant l’interprétation des rituels sacrificiels et les changements sociaux en milieu rural et nomade.
Et une phase de relecture critique de la production anthropologique issue du regard et de la science de l’autre, à savoir les anthropologues occidentaux (Américain, Anglais, Français…) qui se sont intéressé à ce « mystérieux Maroc ». Il a cerné son sujet autour de trois périodes cruciales, précoloniale, coloniale et postcoloniale… avec la promesse de prolonger cette interrogation aux productions qui ont continué à étudier le Maroc jusqu’aux années 80 du siècle dernier.
Dans une introduction dense mais d’une clarté tonique, Hassan Rachik brosse le cadre de référence qui va lui permettre de « lire » les  travaux de ses collègues anthropologues, avec notamment un schéma interprétatif fondé autour de la situation ethnographique. Celle-ci se présente sous des formes très variées et va lui permettre de cerner son corpus autour d’une dizaine de noms, d’auteurs, dont certains sont des figures emblématiques de l’anthropologie marocaine : Charles de Foucault… Jacques Berque, Waterbury…Une approche intensive portée par la devise empruntée à Westermarck : « better much little than little about much » !
La diversité des situations ethnographiques est illustrée par le parcours des anthropologues choisis ; ces explorateurs, voyageurs ou fonctionnaires coloniaux ont abordé le Maroc à travers plusieurs prismes. Rachik les présente sans jugement de valeur sur une qualité spéciale pour une situation ethnographique particulière. Cela va du séjour longue durée avec le sujet observé (cas de Jacques Berque) à celui qui analyse à partir de l’écoute lointaine et sur la base de l’écoute de témoins ( Mouliéras qui analysa le Rif à partir d’une série d’entretiens réalisés à…Oran !). En Cela Rachik est fidèle à une ligne de conduite théorique qui refuse les dogmatismes et les apriori. Une démarche qui nous semble d’une actualité transversale, transposable à d’autres champs : «   je me méfie toujours des oppositions binaires et des positions extrêmes…Je suis pour une généralisation conditionnelle, c’est-à-dire celle qui explicite les conditions sociologiques et culturelles de sa pertinence » !



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