Comprendre l’intériorité artistique
de l’auteur - réalisateur
cinéma Colisée à Marrakech
“Cet homme est formidable”, me dit mon
accompagnateur allemand à l’issue de l’entretien auquel il a assisté avec le
producteur français Humbert Balsan. L’homme, en effet, séduit par ses immenses
qualités humaines et par sa profonde connaissance du cinéma. Malgré un agenda
très chargé, un membre du jury international de la Berlinale est très pris et
très sollicité, Humbert Balsan a bien voulu nous accorder une interview entre
deux projections et une multitude de réunions et de rencontres. Sa démarche de
la production est largement explicite rien qu’à parcourir les titres de films
qu’il a soutenus.
Dans un entretien qu’il avait eu la
gentillesse de m’accorder alors qu’il était membre du jury, il en dit plus en
soulignant que, pour lui, la production consiste à accompagner un auteur, à lui
assurer les moyens pour “aller au plus profond de lui-même”. C’est en fait un
producteur nourri de la grande tradition de cinéphilie qui caractérise la
culture française. Il avait commencé très jeune en créant un ciné-club dans un
établissement scolaire, puis il a enchaîne par jouer dans un film de...
Bresson. Le passage à la production s’est fait dans la même logique, selon le
même esprit: celui de l’amour du cinéma. Un amour qui transcende les frontières
géographiques. Le nom de Humbert Balsan est automatiquement associé chez de
nombreux cinéphiles marocains et maghrébins à Chahine et à toute la nouvelle
génération de jeunes cinéastes de la sphère arabe.
Cet effort et cette ouverture viennent de
recevoir une immense consécration avec le triomphe international d’Intervention
divine du Palestinien Elia Suleiman. Humbert Balsan nous révèle aussi que si ce
film a vu le jour c’est aussi grâce à l’apport du Maroc. Le Maroc justement qui
fait partie de son programme de cette année. Il coproduit en effet le nouveau
film d’Ismaïl Farrokhi. Le grand voyage avec Mohamed Majd dans le premier rôle.
Il y a aussi le nouveau film de Chahine, La Rage au cœur, un film qui vient
compléter la trilogie autobiographique chahinienne avec notamment un retour sur
l’épisode californien ( les années de formation) complété par les évènements du
11 septembre. Il produit aussi, La Porte du soleil, la grande saga sur la
question palestinienne que réalise Yousri Nasrallah à partir du roman du grand
écrivain libanais Elias Khouri.
Et au-delà de tout cela, Humbert Balsan
souligne son refus de certaines catégories qui partagent. “ Ce sont les
qualités intrinsèques de l’auteur qui m’intéressent et non son origine ou son
appartenance; la seule appartenance qui prime est le cinéma”. Il nous dit aussi
son grand estime pour le Maroc et son souhait de voir le Festival international
de Marrakech garder son magnifique élan avec un recentrage sur ce qui devrait
constituer son essence, la convivialité et une place centrale d’un autre
cinéma.
Comment devient-on producteur surtout quand
on a commencé sa carrière au cinéma comme acteur ?
Humbert Balsan: Oui, le hasard a voulu que
ma première expérience de cinéma ait été avec Robert Bresson dans Lancelot du
lac en 1973, ayant été moi-même cinéphile avant puisque j’ai créé un
ciné-club dans le collège où j’étais fonctionnaire; j’étais donc très intéressé
par le cinéma mais sans avoir l’idée que j’allais en faire une carrière. J’ai
commencé comme interprète de Bresson; on m’a redemandé une seconde fois, ce qui
était agréable surtout quand on a 19 ans. De fil en aiguille, j’ai travaillé
dans un certain nombre de films, avec Jacques Rivette, Granier-Deferre, Pialat
et bien d’autres...avec cette expérience de comédien, j’ai eu l’occasion de
rencontrer de grands acteurs comme Michel Piccoli, Catherine Deneuve, Bulle
Augier, Bernadette Laffont, Géraldine Chaplin, etc. Sur le plan personnel, ce
fut une expérience passionnante d’être au centre du dispositif comme acteur,
devant la caméra, un metteur en scène et toute une équipe, ce qui m’a permis
aussi de comprendre un certain nombre de paramètres du cinéma, à la fois dans
son essence même et dans sa fabrication technique ; en fait, j’étais beaucoup
intéressé par la mise en scène sans savoir comment s’y prendre et comment y
arriver. Cependant, tout en continuant à jouer comme acteur (y compris quand je
suis devenu producteur), j’ai été assistant à la mise en scène de Robert
Bresson puis j’ai réalisé un court métrage que j’ai produit : un premier film,
un court métrage de surcroît, par conséquent personne ne voulait le produire;
ainsi j’ai découvert le métier de producteur et je dois dire que ça m’a
beaucoup plu et j’ai même attiré l’attention d’un producteur qui a remarqué que
je me suis pas mal débrouillé. Il m’a demandé de créer une société de
production avec lui puisque la sienne battait de l’aile. Voilà très vite et
très jeune, je me suis plongé dedans sans aucune expérience de production en
commençant d’emblée par produire deux films. J’ai eu des dettes et quand on a
des dettes, on est obligé de continuer, c’est le moteur et je n’ai pas arrêté
de produire depuis. J’ai produit à peu près 70 films à ce jour.
Quand j’ai commencé il y a maintenant plus
de 20 ans, il n’y avait pas toutes ces structures de financement de la
production ; pour le cinéma d’auteur que je faisais, c’était extrêmement dur,
ce qui m’a permis de vivre l’aventure de la production avec toutes ses
mutations et bouleversements. En résumé, j’ai eu beaucoup d’expériences de cinéma
grâce effectivement à mes débuts d’acteur qui n’étaient pas pour moi une
volonté de faire carrière, mais ont représenté pour mon parcours une grande
chance surtout pour observer le dispositif cinéma.
Parmi ce nombre de films produits, est-ce
qu’on peut parler d’une tendance dominante ?
Oui, je pourrai dire que se sont dessinées
des tendances à cause des rencontres qui se font. Je dirai alors
que la première tendance - toutes tendances confondues !- je la qualifierai de
cinéphilique, défendre l’auteur-réalisateur qui est pour moi au centre du
cinéma. Ce qui m’intéresse dans mon métier de producteur, ce n’est pas d’amener
mes visions à moi mais plutôt de comprendre les visions d’un artiste et de lui
donner le maximum d’éléments et de moyens pour aller à l’exploration de ce qui
est le plus profond en lui. On réussit, on échoue, il n’y a pas de règles.
Accompagner ce processus le mieux possible est pour moi l’essence du métier de
producteur. C’est le premier aspect, puis il y a eu d’autres rencontres, des rencontres
françaises mais aussi avec des cinéastes étrangers : Ivory, Chahine, Maroun
Baghdadi, l’Amérique, le Moyen-Orient, la Belgique, la Russie…des directions
diverses et variées. Je dois souligner à ce propos que la rencontre avec Maroun
Baghdadi fut déterminante ; par lui, j’ai rencontré Youssef Chahine et toute
cette relation qui s’en est suivie aboutissant à la rencontre avec Yousri
Nasrallah, avec Elia Suleiman, avec Randa Sebbagh; tous ces cinéastes de la
région Syrie, Palestine, Liban, Egypte avec qui j’ai fait des films qui
m’ont beaucoup apporté parce que je pense que les relations avec les films du
Sud vous apportent deux choses : un, une certaine humilité parce nous sommes
des pays nantis et ces cinématographies ont peu de moyens ; nous créons une
vraie complémentarité en amenant nos moyens pour soutenir des cinématographies
menacées soit pour des raisons financières, soit pour des raisons de censure;
et deux, la joie de vivre parce que malgré les difficultés, ces pays ont un
rapport au temps, un rapport à l’art, à la vie, porté par une espèce d’état de
grâce très enrichissant ; on ne s’enrichit pas forcément, mais on s’enrichit
humainement et c’est quelque chose de fondamental et m’aide dans mes rapports
avec les cinéastes du Sud.
Une certaine opinion, devenue un véritable
cliché en vogue dans certains milieux maghrébins, voit cette coproduction,
cette arrivée de l’argent du Nord comme une forme de partenariat qui ne manque
pas d’ingérence esthétique
S’il y a un partenariat qui aboutit à une
intervention esthétique sur un film où qu’il soit, je pense que ce partenariat
est mauvais. Le partenariat a pour objectif de comprendre l’intériorité
artistique de l’auteur ; c’est ma vision, c’est ce que je privilégie dans mon
action et c’est ce que je défends. Et je pense que l’esthétique des films que
je produis, quel que soit le cinéaste, n’a rien à voir avec le partenariat mais
avec la personnalité de l’auteur. Dans mes relations, j’ai toujours respecté ce
principe. En fait, on n’est plus du tout dans une question de nationalité, ou
de culture, on est dans l’humain. Dans la stricte égalité entre les hommes
qu’ils viennent du Caire, de Jérusalem, de New York, Moscou ou Paris, il y a
une égalité humaine et c’est ce qui m’intéresse. Bien sûr, on reste nourri de
sa culture, mais sans que cela exprime un état de rapport de forces entre le
Nord et le Sud par exemple ; ce n’est pas cela qui m’intéresse. Il y a toujours
des inégalités, mais le rôle du cinéma est de transcender cette situation pour
permettre à l’art de jaillir avec des moyens extrêmement différents.
L’essentiel est de ne pas se braquer sur les inégalités, mais de voir plutôt ce
que l’on pourrait créer avec les moyens dont on dispose. Je me méfie de ce
genre de paradigmes Nord /Sud, riche /pauvre ; ce qui m’intéresse, c’est la vie
et la vie est partout exprimée par un langage universel qu’est le cinéma et
après il y a le travail.
Je pense que la meilleure illustration de
cette conception est le film Intervention divine d’Elia Suleiman. Je viens
d’apprendre d’ailleurs que le film va sortir au Maroc.
Bien sûr il va sortir au Maroc, plus
encore, le Maroc nous a beaucoup aidé à le finir puisque à un certain moment,
j’ai été en difficulté dans la production et 2M nous a beaucoup aidés en
intervenant avec un montant raisonnable mais très important au moment où il
arrivait et finalement c’est cela qui compte : l’effet que peut avoir une
intervention financière. Le film est intéressant parce qu’il amène un nouveau
point de vue dans le rapport du cinéma et du Monde arabe ; c’est une nouvelle
esthétique ; Suleiman apporte une nouvelle façon de faire aux côtés des autres
cinéastes de la région ; sa reconnaissance cannoise et internationale est
positive pour les jeunes, une invitation à ne pas rester dans les choses
conventionnelles, qu’ils aient de l’audace, qu’ils tentent quelque chose et
moi, je défends l’audace...
L’actualité du Maroc, c’est aussi ton
projet de produire le nouveau film d’Ismail Farrokhi.
Oui, l’actualité positive du Maroc, c’est
ce projet; il faut dire qu’avec Nour Eddine Saïl, nous avons créé des liens
puisqu’il m’a aidé pour le film palestinien ; il est impliqué dans le nouveau
film de Yousri Nasrallah Bab Chams d’après le grand roman d’Elias Khouri, mais
aussi dans le nouveau film de Chahine que nous commençons bientôt La Rage au
cœur et bien sûr dans le nouveau film d’Ismaïl Farrokhi, un road movie qui
s’appelle Le Grand voyage qui part d’Aix-en-Provence et se termine à la Mecque.
C’est un voyage en voiture entre un père et son fils ; le père sera interprété
par Mohamed Majd, grand acteur marocain que j’ai découvert dans un film cet
hiver en Syrie, je suis très content qu’il puisse être dans le film ; son fils
sera joué par un jeune Français ; c’est donc une coïncidence heureuse de me
retrouver au Maroc que je connaissais moins bien que d’autres parties de la
région, donc je vais être chez vous pour plusieurs fois. L’autre aspect, plus
triste, de l’actualité du Maroc, c’est la disparition de Toscan du Plantier et
notamment par rapport au festival de Marrakech. Un festival qui a
eu des problèmes l’année dernière concernant la place des films du Sud.
J’espère que cet élan va continuer dans la perspective que j’avais
justement discutée avec du Plantier dernièrement pour que le festival retrouve
une convivialité par rapport au Sud et que l’exposition des films du Sud soit
absolument prioritaire et essentielle. Parce que c’est une énorme chance de
proposer un festival international à Marrakech, mais il faut absolument qu’au
centre le cinéma et la convivialité, ce qui n’était pas tout à fait le cas
l’année dernière. J’avais d’ailleurs exprimé l’idée que j’étais prêt à
participer à une formule ou une autre pour contribuer à installer un vrai
espace de rencontre, de convivialité entre cinéastes sans rentrer dans un
folklore occidental ou people qui est important pour un festival mais qui ne
doit pas être au centre ; ça doit être la rencontre entre les gens.
Quel commentaire t’inspire la prise
de parole des cinéastes américains contre la guerre ?
C’est effectivement extraordinaire de voir
à quel point les cinéastes, les acteurs ont pris un parti extrêmement dynamique
pour exposer leur point de vue contre la guerre avec beaucoup de précision, ce
n’est pas des déclarations oniriques, fantasques mais des choses bien précises
; ce sont aussi des gens très attachés à leur pays ; des patriotes qui
expriment un désaccord avec la politique de leur gouvernement extrêmement
puissante et envahissante. Je trouve très courageux que ce soit des cinéastes
américains qui soient derrière l’initiative, Sean Penn était l’un des
premiers à parler ; c’est évidemment moins spectaculaire chez nous, mais je
pense que la plupart des cinéastes et des artistes sont contre la guerre l’Etat
français lui-même fait tout pour que la guerre; soit évitée. Mais en Amérique,
cela est très spectaculaire que ces cinéastes s’expriment ; c’est une bonne
nouvelle et en même temps très courageux ; on sait que même dans un système
comme celui de l’Amérique, ce genre de déclarations peut se payer cher pour son
image et comme c’est un métier d’images aussi, je trouve que c’est très
courageux et encourageant.
1 commentaire:
mais il y a de meilleures choses dans les https://wiflix.vc/policier/ films. La colère est toujours une peur, et la peur est toujours une peur de perdre.
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