jeudi 22 avril 2021

 

Le miracle du Saint inconnu de  Alaa-Eddine Eljam

Des Saints et des voleurs

« Finalement, le premier personnage du film…c’est le paysage »

 

D’un Saint, l’autre…où le plus Saint des deux n’est pas (toujours) celui que l’on pense ! Pour son premier long métrage, Le miracle du Saint inconnu (Maroc-France, 2020), Alaa-Eddine Eljam a choisi de se confronter, via un registre ludique (on peut parler d’une comédie burlesque), à une dimension du sacré dans son interprétation sociale ; celle de l’omniprésence des saints, des marabouts dans la pratique religieuse du quotidien et dans l’organisation du rapport au monde. L’idée de base du scénario est portée en effet par un constat avéré par les recherches en sciences sociales, celui du culte des Saints. L’anthropologue marocain Hassan Rachik écrit à ce propos, en analysant les explications avancées par des ethnologues étrangers : « Le culte des saints est expliqué en termes cognitifs en ce sens qu’une catégorie de croyants trouvent l’idée de Dieu si abstraite qu’ils éprouvent le besoin d’un sacré au ras du sol, d’un sacré qui se manifeste dans des objets familiers et concrets. Edmond Doutté écrit à cet égard que le culte des saints est «la revanche du cœur et de la fantaisie sur l’abstraction du monothéisme ». Il suffit de parcourir la campagne marocaine pour rencontrer moult indices, dans l’espace comme dans le discours, de cette omniprésence. Celle-ci ne manque pas de légendes qui la nourrissent de récits et d’anecdotes plus au moins fantaisistes. On raconte par exemple que tel voyageur solitaire, obligé de se séparer de sa monture (cheval, mulet, âne…) l’ enterre dans un endroit quelconque pour retrouver plus tard, à son retour, que la tombe triviale qu’il avait creusée pour sa bête est devenue un sanctuaire avec des visiteurs, des rites et tout un commerce autour. C’est la structure de base du scénario du film d’Aljam. On découvre en ouverture, un voleur poursuivi par des gendarmes, se débarrasse de son butin en l’enterrant au haut d’une colline. Arrêté, il purge sa peine. A sa sortie de prison, il se dirige vers la colline où il avait « enterré » son sac rempli de billets de banque. Combien sa surprise fut grande quand il découvre, érigé en lieu et place de la tombe qu’il avait improvisée, un superbe marabout avec des visiteurs, des commerçants et tout un village à proximité. L’intrigue consiste donc d’emblée pour le protagoniste en comment récupérer son magot. Pour le film se pose aussi une double question, dramatique et esthétique : quel type de récit pour développer l’intriguer ? Quel type d’image pour porter ce récit ? Ou pour résumer en une question centrale : quel cinéma pour dépasser l’anecdote. Au fur et à mesure de l’évolution du récit on entre dans une ambiance particulière qui donne le ton du film, à savoir une comédie burlesque la Emir Kusturica. Un comique de situations avec comme point d’orgue l’opération que va subir le chien du gardien du mausolée.  Le personnage principal est un voleur atypique. Dès la séquence d’ouverture, on a une idée que son destin lui échappe : ce n’est pas lui qui a choisi le lieu pour cacher son argent mais c’est la voiture qui a est tombée en panne au milieu de nulle part, au sein d’un paysage qui confine au désert. Toute la mise en scène est inféodée à ce projet, celui d’une fable de notre temps ; lieux, objets, personnages sont les rouages d’une machinerie bien huilée.

Il me semble que le film lui-même nous offre une piste de lecture intéressante qui enrichit le débat autour du film. C’est une scène située vers la fin du film, quand Hassan va ériger un mausolée en hommage à son père Brahim. Hassan avait fait sauter la bâtisse qui abrite la tombe du « Saint inconnu », récupérant par la même occasion et accidentellement le sac rempli d’argent. Ce nouveau mausolée va redonner de l’espoir aux gens qui vont commencer à revenir au village tombé en ruine. Cependant, cette séquence est traversée par une scène où l’on voit des touristes européens venir prendre des photos auprès du nouveau mausolée et même contribuer au rite de l’offrande. C’est une scène riche en significations et qui me semble fondatrice. Sur un plan culturel, elle nous informe sur la dichotomie qui marque le rapport au sacré chez les autochtones et les Européens. D’un côté, on continue à y croire, à y voir une composante essentielle de l’imaginaire qui aide à vivre ; et de l’autre, une vision marquée de dystopie qui  voit dans le mausolée un objet exotique, que l’on visite en touriste. Mais bien au-delà, la scène des touristes qui se prennent en photo devant le mausolée peut se lire comme une mise en abyme de la réception du film ; une réception portée un certain regard européo-centriste en quête de carte postale et qui va jusqu’à faire une lecture politique du film pour parler d’une société figée dans ses mythes et croyances.

Le film est porté par un investissement  dans la forme qui annonce et préfigure, une personnalité cinématographique. Si l’on distingue dans l’évolution du cinéma, le style de l’idée et le style de l’image, Alaa Eddine Eljam se situe indéniablement du côté du cinéma de l’image. Une figure récurrente marque déjà sa jeune filmographie, celle du désert. J’aime faire un parallèle entre Le miracle et son court métrage Les poissons du désert (2015) : le désert certes mais aussi la figure du père à qui il va rendre hommage dans son long métrage.

En fait, c’est le paysage qui reste le personnage principal du film. Le paysage désertique. Il en fait l’ouverture et la clôture de ses films. Une présence qui constitue in fine une poétique de l’espace qui renvoie au vide, au silence, à l’errance. Le vide des rapports sociaux, l’errance de l’individu face à l’incertitude des lendemains (la scène finale du voleur égaré dans un paysage qui l’englobe).

Ces plans vides d’un paysage désertique nous renvoient à nous-mêmes. Ils nous invitent à une méditation, un parcours. Et surtout à une attitude, à une posture d’humilité face à l’éternel inconnu. En ouvrant de son film avec ses splendides plans désertiques, il nous invite à une ouverture sur la dimension mythologique. La ligne d’horizon qui découpe le cadre entre ciel et terre instaure un rapport de forces ; les cadrages opérés inscrivent au sein même du champ les multiples conflits qui s’y déroulent. La structure des plans avec le retour de la contre-plongée sur la colline du mausolée, les lignes de fuite (c’est très pictural), la répartition dans le champ des vides et des pleins organisent aussi bien la structure du paysage et la hiérarchisation des personnages. Une hiérarchisation qui met en avant le désenchantement des uns (le médecin et son infirmier, le coiffeur et ses clients, enfermés dans une situation à laquelle ils s’accordent) et une figure de résistance incarnée par Brahim et son fils. C’est lui qui deviendra le Saint Sidi Brahim, attaché à la terre et espérant la pluie. Avec cette figure, le film bloque toute velléité de nihilisme

1 commentaire:

Amely a dit…

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