Le miracle du Saint inconnu de Alaa-Eddine Eljam
Des
Saints et des voleurs
« Finalement, le
premier personnage du film…c’est le paysage »
D’un Saint, l’autre…où le plus
Saint des deux n’est pas (toujours) celui que l’on pense ! Pour son premier
long métrage, Le miracle du Saint inconnu (Maroc-France, 2020), Alaa-Eddine
Eljam a choisi de se confronter, via un registre ludique (on peut parler d’une
comédie burlesque), à une dimension du sacré dans son interprétation sociale ;
celle de l’omniprésence des saints, des marabouts dans la pratique religieuse
du quotidien et dans l’organisation du rapport au monde. L’idée de base du
scénario est portée en effet par un constat avéré par les recherches en
sciences sociales, celui du culte des Saints. L’anthropologue marocain Hassan
Rachik écrit à ce propos, en analysant les explications avancées par des
ethnologues étrangers : « Le culte des saints est expliqué en termes
cognitifs en ce sens qu’une catégorie de croyants trouvent l’idée de Dieu si
abstraite qu’ils éprouvent le besoin d’un sacré au ras du sol, d’un sacré qui
se manifeste dans des objets familiers et concrets. Edmond Doutté écrit à cet
égard que le culte des saints est «la revanche du cœur et de la fantaisie sur
l’abstraction du monothéisme ». Il suffit de parcourir la campagne marocaine
pour rencontrer moult indices, dans l’espace comme dans le discours, de cette
omniprésence. Celle-ci ne manque pas de légendes qui la nourrissent de récits
et d’anecdotes plus au moins fantaisistes. On raconte par exemple que tel
voyageur solitaire, obligé de se séparer de sa monture (cheval, mulet, âne…) l’
enterre dans un endroit quelconque pour retrouver plus tard, à son retour, que la
tombe triviale qu’il avait creusée pour sa bête est devenue un sanctuaire avec
des visiteurs, des rites et tout un commerce autour. C’est la structure de base
du scénario du film d’Aljam. On découvre en ouverture, un voleur poursuivi par
des gendarmes, se débarrasse de son butin en l’enterrant au haut d’une colline.
Arrêté, il purge sa peine. A sa sortie de prison, il se dirige vers la colline
où il avait « enterré » son sac rempli de billets de banque. Combien
sa surprise fut grande quand il découvre, érigé en lieu et place de la tombe
qu’il avait improvisée, un superbe marabout avec des visiteurs, des commerçants
et tout un village à proximité. L’intrigue consiste donc d’emblée pour le
protagoniste en comment récupérer son magot. Pour le film se pose aussi une
double question, dramatique et esthétique : quel type de récit pour
développer l’intriguer ? Quel type d’image pour porter ce récit ? Ou
pour résumer en une question centrale : quel cinéma pour dépasser
l’anecdote. Au fur et à mesure de l’évolution du récit on entre dans une
ambiance particulière qui donne le ton du film, à savoir une comédie burlesque
la Emir Kusturica. Un comique de situations avec comme point d’orgue
l’opération que va subir le chien du gardien du mausolée. Le personnage principal est un voleur atypique.
Dès la séquence d’ouverture, on a une idée que son destin lui échappe : ce
n’est pas lui qui a choisi le lieu pour cacher son argent mais c’est la voiture
qui a est tombée en panne au milieu de nulle part, au sein d’un paysage qui
confine au désert. Toute la mise en scène est inféodée à ce projet, celui d’une
fable de notre temps ; lieux, objets, personnages sont les rouages d’une
machinerie bien huilée.
Il me semble que le film
lui-même nous offre une piste de lecture intéressante qui enrichit le débat autour
du film. C’est une scène située vers la fin du film, quand Hassan va ériger un
mausolée en hommage à son père Brahim. Hassan avait fait sauter la bâtisse qui
abrite la tombe du « Saint inconnu », récupérant par la même occasion
et accidentellement le sac rempli d’argent. Ce nouveau mausolée va redonner de
l’espoir aux gens qui vont commencer à revenir au village tombé en ruine.
Cependant, cette séquence est traversée par une scène où l’on voit des
touristes européens venir prendre des photos auprès du nouveau mausolée et même
contribuer au rite de l’offrande. C’est une scène riche en significations et
qui me semble fondatrice. Sur un plan culturel, elle nous informe sur la
dichotomie qui marque le rapport au sacré chez les autochtones et les Européens.
D’un côté, on continue à y croire, à y voir une composante essentielle de
l’imaginaire qui aide à vivre ; et de l’autre, une vision marquée de
dystopie qui voit dans le mausolée un
objet exotique, que l’on visite en touriste. Mais bien au-delà, la scène des
touristes qui se prennent en photo devant le mausolée peut se lire comme une
mise en abyme de la réception du film ; une réception portée un certain
regard européo-centriste en quête de carte postale et qui va jusqu’à faire une
lecture politique du film pour parler d’une société figée dans ses mythes et
croyances.
Le film est porté par un
investissement dans la forme qui annonce
et préfigure, une personnalité cinématographique. Si l’on distingue dans
l’évolution du cinéma, le style de l’idée et le style de l’image, Alaa Eddine
Eljam se situe indéniablement du côté du cinéma de l’image. Une figure
récurrente marque déjà sa jeune filmographie, celle du désert. J’aime faire un
parallèle entre Le miracle et son court métrage Les poissons du désert
(2015) : le désert certes mais aussi la figure du père à qui il va rendre
hommage dans son long métrage.
En fait, c’est le paysage qui
reste le personnage principal du film. Le paysage désertique. Il en fait
l’ouverture et la clôture de ses films. Une présence qui constitue in fine une
poétique de l’espace qui renvoie au vide, au silence, à l’errance. Le vide des
rapports sociaux, l’errance de l’individu face à l’incertitude des lendemains
(la scène finale du voleur égaré dans un paysage qui l’englobe).
Ces plans vides d’un paysage
désertique nous renvoient à nous-mêmes. Ils nous invitent à une méditation, un
parcours. Et surtout à une attitude, à une posture d’humilité face à l’éternel
inconnu. En ouvrant de son film avec ses splendides plans désertiques, il nous invite
à une ouverture sur la dimension mythologique. La ligne d’horizon qui découpe
le cadre entre ciel et terre instaure un rapport de forces ; les cadrages
opérés inscrivent au sein même du champ les multiples conflits qui s’y
déroulent. La structure des plans avec le retour de la contre-plongée sur la
colline du mausolée, les lignes de fuite (c’est très pictural), la répartition
dans le champ des vides et des pleins organisent aussi bien la structure du
paysage et la hiérarchisation des personnages. Une hiérarchisation qui met en
avant le désenchantement des uns (le médecin et son infirmier, le coiffeur et
ses clients, enfermés dans une situation à laquelle ils s’accordent) et une
figure de résistance incarnée par Brahim et son fils. C’est lui qui deviendra
le Saint Sidi Brahim, attaché à la terre et espérant la pluie. Avec cette
figure, le film bloque toute velléité de nihilisme
1 commentaire:
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