vendredi 17 juin 2016

Mostafa Derkaoui, l’affranchi


abderrahim bansar, mohammed bakrim avec mostafa derkaoui chez lui

Mostafa Derkaoui et le cinéma, c’est un récit de vie passionné et passionnant : il s’identifie au cinéma et le cinéma s’identifie à lui. Le rapport de Mostafa Derkaoui a avec la caméra est en effet un rapport d'appropriation. Ce n'est pas un outil que l'on manipule ; c'est une partie de soi ; qui parle au nom de soi ; le prolonge. Elle est l'expression d'un projet ; d'un projet cinématographique. Parce que justement Mostafa Derkaoui est un cinéaste habité par un projet. Son parcours se présente dans ce sens comme un itinéraire, à l'image du voyage odysséen, pour user d'une image qu'il affectionne quand il parle de scénario. Sa filmographie est un scénario ouvert sans cesse revu, remanié, revécu dans l'angoisse des interrogations de l'écriture.
Mostafa Derkaoui est une figure marquante de la cinématographie marocaine. Il en est tout simplement l’un des emblèmes. Après des études de cinéma à Lodz en Pologne, il rentre au Maroc en 1973. Comme un certain nombre de ses collègues, jeunes lauréats de grandes écoles de cinéma européennes, il rejoint le CCM. Mais dans son cas,  ce fut pour une courte durée. C’est déjà un indice sur un caractère et une personnalité. Il fait le choix du cœur et non de la carrière.  Il fonde alors une société privée  de production qui va lui permettre d’entamer la réalisation de son premier long métrage, De quelques événements sans signification (1974).
Le projet portait donc déjà les limites de l'époque qui l'a vu naître: le rêve confinait à l'utopie. Mais cela n'a pas empêché Derkaoui de continuer à nager à contre-courant, proposant une certaine constance dans sa démarche globale marquée par une fragmentation du récit, un éclatement du système des personnages, un travail pointu sur l'image avec le recours (risqué d'un point de vue de la réception) aux images nocturnes, et un découpage polyphonique de l'espace narratif. Polyphonie conviendrait d'ailleurs comme un titre générique de l'œuvre de Derkaoui qui est riche d’une dizaine de longs métrages. Un chiffre qui le situe en très bonne position par rapport à ses autres confrères.
Fidèle à lui-même, Derkaoui nous propose œuvre qui n'obéit à aucune logique de genre échappant à toute canonisation. C'est une œuvre affranchie au sens où l'on dit un Affranchi chez les Grecs de l'antiquité. Le cinéma de la modernité dont se réclament les films de Derkaoui instaure un système de référence à la littérature, à la peinture, au théâtre qui lui assure une légitimité artistique et une forme de lisibilité (en liaison avec un contexte culturel favorable). Le pari de Derkaoui est d'assurer cette cohérence par les seules vertus du langage cinématographique.
Il serait utile aujourd’hui de faire revivre cette mémoire dans des copies correctes pour opérer un échange avec les nouvelles générations de cinéastes et de cinéphiles.



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