lundi 13 juillet 2015

Débat avec un confrère moderniste


Inezgan...istan ?


L’année 2015 figurera-t-elle dans l’histoire du pays comme une date charnière ? Elle ne cesse en effet de se nourrir de débats et de polémiques de nature inédites. Non pas que le Maroc n’a pas vécu des moments d’intenses discussions, son histoire politique atteste au contraire d’une riche tradition en la matière. La séquence ouverte, grosso modo, autour de l’affaire du film Much loved se distingue cependant d’abord par l’ampleur des débats et la nature quasi inédite de leur contenu. Une ampleur dopée par la nouvelle configuration qui caractérise la circulation des discours dans l’espace public. Il y a quelques temps c’étaient la presse écrite, et la presse partisane en particulier, qui véhiculaient les polémiques et leur donnaient du sens, souvent dans un contexte d’affrontement avec le pouvoir politique en place étant donné la nature des rapports de forces à l’époque, décrite aujourd’hui comme « années de plomb ». Aujourd’hui, notre société découvre et retrouve simultanément la liberté d’expression et des outils inédits de supports de discours. L’ampleur des polémiques d’aujourd’hui provient essentiellement de ce double constat : les réseaux sociaux numériques inaugurent « l’ère du tout dire, tout voir ». C’est le premier constat structurant de la situation de la tension virtuelle, appelée «  buzz » dans le jargon de la toile et qui ne manque pas d’effet politique. On se rappelle que le ministre de la communication a justifié l’interdiction du film de Ayouch non pas en se référant à un acte juridique et administratif mais par « l’émotion suscitée chez les citoyens de la toile » allant jusqu’à trouver une légitimité à sa décision, arbitraire de jure, dans l’approbation qui l’accueillie sur les réseaux sociaux.
L’autre élément qui caractérise ces polémiques, tendance été 2015, est leur focalisation sur une thématique sociétale en liaison avec les mœurs  et les libertés individuelles. La succession de certains faits, notamment ceux de Fès et d’Inezgane a suscité un certain émoi chez les partisans de la modernisation sociale, les défenseurs des libertés individuelles et globalement chez lez démocrates. Un clivage commence à se dessiner sommant les uns et les autres à se positionner. C’est dans ce cadre que nous avons lu avec beaucoup d’intérêt le l’édito de My Ahmed Charaï, directeur de l’hebdomadaire L’observateur du Maroc et d’Afrique et patron d’un groupe de presse (notamment Alahdath maghribia qui a repris en langue arabe le texte de M. Chraï). Edito dont le titre sonne déjà comme une injonction « Le PPS doit rester moderniste ». Un texte qui dit, dans le sillage des débats actuels,  l’inquiétude de son auteur de voir le parti du progrès et de socialisme renoncer à son engagement historique en faveur des libertés et du progrès social. Comme l’a souligné le directeur des quotidiens Albayane et Bayane Alyoum, M. Mahtat Rakas, dans son édito de samedi, M. Charaï devrait se rassurer sur l’attitude du PPS. Il reste fidèle à cet engagement, à sa ligne historique qu’il développe en fonction de l’intelligence qu’il a de la nature de chaque étape et des attentes des forces du progrès qui lui font confiance. Le ton serein du texte de M. Charaï, ne versant à aucun moment dans la polémique ou le dénigrement, autorise cependant à élargir le débat. A s’interroger calmement sur ce qui se passe ; sur ce qui traverse la société marocaine comme lame de fond et sur l’attitude la plus pertinente du « camp de la modernisation ». Si nous partageons et adhérons fondamentalement aux principes et aux valeurs humanistes et généreuses qui président à l’élaboration du texte de M. Charaï, nous pensons néanmoins que les choses sont autrement plus compliquées et dépassent la simple posture médiatique. Il est si simple et si facile d’opérer par dichotomie et par clivage alors même que les relations sociales invitent à une autre approche. La société n’est pas gérée par des oppositions binaires, transparentes et homogènes. C’est un véritable tissu complexe aux ramifications qui traversent l’ensemble du corps social, au-delà parfois des clivages politiques apparents.
Faut-il rappeler dans ce sens que la dérive actuelle relevée avec une certaine naïveté par les uns et les autres ne datent pas d’hier ? Il y a déjà des décennies que des jeunes femmes subissent et continuent à subir un harcèlement permanent et multiforme. Faut-il citer le cas de ces milliers de jeunes femmes qui dans l’anonymat absolu et le silence médiatique sont obligées de changera de vêtements  entre le lieu d’habitation et leur lieu de travail : la djellaba pour rentrer chez elles et des habits modernes pour le bureau ou l’usine. Un mien ami, militant de gauche de la première heure,  me rapporte une histoire qui l’a démoralisée et qu’il a vécue avec sa propre fille, étudiante universitaire. L’accompagnant une fois à acheter des vêtements dans un magasin chic du centre ville, il s’est permis de lui proposer une robe qui avait attiré son attention. «  Mais je vais la porter où Papa ? ». Il reçut la réponse de sa fille comme un coup de massue. « C’est la première fois que j’ai senti l’ampleur de la défaite culturelle de la gauche » m’avoua-t-il.
En Tunisie, la modernisation par en haut avait été menée par une élite qui nous faisait pâlir d’envie sinon de jalousie. Le pays passait pour un modèle dans la région. C’était une chimère. Les modernistes tunisiens et tunisiennes se sont réveillés sur une douloureuse réalité. Le cliché moderniste se réduisait aux alentours de l’avenue Bourguiba. La coupure était profonde avec le pays réel. Et aujourd’hui on découvre une autre Tunisie, conservatrice et rétrograde. La modernisation était factice car elle était coupée de son ancrage social.  Le cas tunisien est vraiment à méditer : comment la société tunisienne a basculé de Bourguiba à Ghannouchi malgré une élite « moderne », un système d’éducation qui était performant et même une politique sécuritaire très dure à l’égard du conservatisme social.

Cher confrère Charaï, le problème n’est pas avec le PPS. Le parti mène son action multiforme sur le terrain, dans les institutions...Le problème est ailleurs. Dans l’ensemble du corps social. Comment une ville comme Inezgane longtemps bastion de la gauche, ville jumelle d’Agadir le symbole même de la modernité, de la tolérance et où les jeunes femmes du Maroc entier venaient passer leur vacances, seules ou en groupes, en toute quiétude, est devenue « Inezganistan ». Cela devrait nous interpeller, nous inciter à sortir des schémas théoriques simplistes…pour tenter de comprendre et surtout d’agir. Tant qu’il est encore temps. 

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