jeudi 14 mai 2020

Une victoire pour le documentaire





« Le reportage montre, le documentaire démontre »

Les organisateurs du festival national du film, qui se termine ce  7 mars à Tanger, ont  introduit une nouvelle donne majeure qui pourrait faire de cette édition du FNF une page historique dans l’évolution du cinéma marocain. Il s’agit de l’instauration d’une section propre au documentaire. Cette 21ème confirme en effet que désormais le film documentaire aura sa propre compétition,  un jury qui lui est spécifiquement dédié et à la clé deux prix pour couronner le palmarès, à savoir un grand prix et le prix spécial du jury. C’est une bonne nouvelle à la fois pour le documentaire et pour le festival lui-même.
Pour le documentaire d’abord qui était cantonné jusqu’ici dans une logique de quota, lui réservant deux places au sein de la compétition officielle. Une sorte de strapontin qui n’a pas empêché quand même un « documentaire », lors de l’édition 2019, de décrocher le grand prix du festival au grand dam des films de fiction pourtant majoritaires grâce à cette règle de quota ridicule. Et pour le festival lui-même qui gagne, avec ce changement, en professionnalisme, en diversité et une programmation plus variée puisque la compétition du documentaire n’est pas insérée dans un créneau libéré par la fiction mais occupera son propre espace dans l’agenda du festival, parallèlement aux autres activités. Ce qui amènera un festivalier sérieux, chaque matin, à faire un choix comme dans un grand festival qui se respecte. Une certaine pratique a généré une aristocratie des festivals qui monopolise la présence (être invité au festival est perçu comme un droit acquis au détriment des jeunes cinéphiles) et qui bloque toute velléité de changement sous prétexte de ne pas bousculer la tradition ; en fait, une certaine paresse qui a fini par provoquer une certaine sclérose intellectuelle. Aujourd’hui, le festival et ses invités entrent dans une nouvelle dynamique.
Cette réhabilitation sous forme de reconnaissance devrait être maintenant menée jusqu’au bout, notamment avec la nécessaire révision du texte de l’avance sur recettes qui limite les choix de la commission à deux documentaires par an. Je propose par exemple d’ajouter une quatrième session, au lieu de trois par an actuellement, qui serait exclusivement dédiée aux premières œuvres et aux documentaires. L’idéal bien sûr serait de supprimer carrément cette catégorisation et d’ouvrir la participation aux œuvres cinématographiques nonobstant leur inscription institutionnelle dans tel ou tel genre. L’avantage de l’initiative du CCM est de lancer le débat.
Certes, le documentaire et le festival national, c’est déjà une longue histoire. Je rappelle que lors de la première édition du FNF (Rabat, du 9 au 16 octobre 1982), la compétition officielle était ouverte aux différents genres et formats, avec d’ailleurs une présence  de documentaire de qualité (Transe de Ahmed Maanouni ;  Maarouf n’tamajlocht de Hamid Bensaid et Paul Pascon). En 1998, lors de la 5ème édition, un docu-fiction va faire sensation, Dans la maison de mon père de Fatima Jebli Ouazzani, qui décrochera le grand prix. En 2008, l’excellent Nos lieux interdits de Laila Kilani remportera le prix du Cinquantenaire du cinéma marocain. En 2011, Fragments de Hakim Belabbès était reparti, auréolé du grand prix du festival, largement mérité.
 L’idée dominante, pertinente par ailleurs, était de considérer le documentaire non pas comme un genre périphérique mais comme un film cinématographique. La distinction étant par ailleurs, d’un point de vue théorique, quasi artificielle. Pour Godard tout film est documentaire : il a raison, tout film est un document sur son époque, mais aussi un document sur les conditions de son tournage. Pour Christian Metz, le fondateur de la sémiologie du cinéma, tout film est fiction.
Un rappel pour souligner de notre part que le documentaire ne peut être enfermé dans des considérations strictement institutionnelles. Le documentaire qui a pour objet de réécrire le monde, contrairement au reportage qui rapporte,  est porteur d’enjeux esthétiques, éthiques voire politiques. Depuis la mainmise de la télévision sur le marché des images et l’arrivée du numérique, le documentaire est au cœur d’un questionnement stratégique. Si nous réaffirmons que la patrie originelle du documentaire demeure le cinéma, nous constatons hélas que ce genre fondateur  subit un formatage en règle. Ce n’est pas sans raison que l’on présente de plus en plus le documentaire comme un espace de résistance face à la pression de la société du spectacle et du consumérisme. Au moment où le cinéma de fiction s’essouffle face à la complexité du monde et se réfugie dans une surenchère d’effets spéciaux et de super héros, le documentaire offre un lieu de rafraichissement du regard. De donner à voir le monde autrement.
L’expérience marocaine en la matière est éclairante ; elle dit aussi la crise du cinéma documentaire. Nous assistons à une inflation de discours, de manifestations et de rencontres sur le documentaire au moment même où celui-ci est bafoué dans ses règles élémentaires. C’est ainsi qu’un long reportage porté par une grammaire de télévision s’est vu consacré comme meilleur film de cinéma en 2019.  

Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...