dimanche 9 juillet 2017

Repenser la tolérance



L’actualité interpelle la pensée. Il y a même une sorte d’appel en urgence  émanant des catégories intellectuelles qui jadis étaient opératoires et qui se trouvent aujourd’hui en panne face à la déferlante de l’horreur. Il n’y a rien à dire, la barbarie est parmi nous. Les mots, les concepts ont-ils encore un pouvoir sur le réel? Comment peut-on penser ce qui se présente déjà comme au-delà de la pensée? Avons-nous encore les moyens de réfléchir sur ce qui s’est passé, sur ce qui se passe, sur le pire encore à venir?
La tolérance. Voilà ce qui apparaît comme la panacée. Tout le monde aujourd’hui s’en réclame ; la revendique comme une sorte de programme, ou solution miracle. Mais personne ne s’arrête un instant pour savoir quel contenu lui donner ; en quoi consiste-t-elle ? Et surtout ce paradoxe autour de la tolérance : plus on en parle, moins on en voit sur le terrain ; moins on la constate dans la réalité des rapports entre les hommes et les communautés.
« Difficile tolérance ». Yves Charles Zarka a pertinemment choisi le titre de son livre que je propose pour vos lectures estivales (pour ne pas bronzer idiot !). La démarche philosophique que l’auteur adopte est une réponse au désarroi intellectuel ambiant : les concepts sont secoués par un doute généralisé. Des soubresauts aussi terribles les uns que les autres finissent par déstabiliser les catégories les plus consacrées. Comme la tolérance qui a déjà, comme vocable, une vielle histoire.
Le livre est porté par une double ambition : construire une nouvelle conception de la tolérance autour du nouveau concept : la structure tolérance; c’est donc un nouveau traité qui cerne ou limite son champ à la dimension politique. C’est-à-dire que les aspects éthiques et moraux sont momentanément évacués. On remarque déjà que cette distinction est utile quand on la transpose au sein du débat maroco-marocain où un vaste consensus domine autour de la tolérance car abordée comme catégorie éthique, extra-terrestre en somme. La proposition de Zarka ramène le débat à des principes politiques, à des dispositifs qui participent à la configuration de la structure tolérance. «Sa réalisation, dit-il, ne suppose aucune mutation morale de l’humanité» ; on réfléchit sur la réalité telle qu’elle est et avec les hommes tels qu’ils sont : «La structure tolérance permet de résoudre  le problème de la coexistence même pour un peuple de démons, c’est-à-dire sans faire appel à la vertu morale». Nous retrouvons ici l’héritage philosophique de Kant, Hobbes voire de Machiavel… Cela amène une question centrale et qui est plus que jamais d’actualité, principalement ici et maintenant : quels sont les cadres institutionnels susceptibles d’établir la tolérance des individus, des groupes, des communautés dans les Etats démocratiques aujourd’hui, sans attendre une improbable, et même tout à fait utopique, mutation morale de l’humanité?  En d’autres termes, il faut poser la question de la tolérance comme une question politique appelant des réponses institutionnelles. Ce n’est pas seulement une question théorique mais elle est aussi pratique.
Parmi les principes qui président à la mise en place de la structure tolérance figurent en priorité la séparation du politique et du religieux et la reconnaissance de l’altérité.
L’autre ambition du livre nous concerne plus directement puisqu’il n’hésite pas à interroger le rapport Occident et Islam sur la tolérance. Un rapport sensible car l’Islam n’est plus cet autre lointain mais il relève désormais de l’altérité interne (globalement c’est la deuxième religion en Europe). Cette présence de l’Islam qui met à l’examen la pratique de la tolérance en occident mais qui le met lui aussi à l’examen puisqu’il est amené à se confronter à de nouvelles réalités. Pour l’auteur, l’Occident est arrivé à la tolérance à partir de deux grandes ruptures : la séparation du politique et du religieux, la sphère publique de la sphère privée et la découverte de l’altérité interne et externe. «Deux événements, souligne-t-il, qui ne peuvent advenir qu’à une conscience hautement critique»; or l’Islam n’a jamais vécu une telle situation historique. D’où cette première conclusion : «ce livre est donc aussi un appel à l’éveil de la conscience critique de l’Islam pour que le rapport Occident/Islam puisse se poser sous un tout autre mode que celui du choc des civilisations».


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