vendredi 22 avril 2016

La bataille d’Alger, cinquante ans après


La fiction documentaire 


L’exemple même du film culte, La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, sorti il y a cinquante ans (1966) et dont le destin est marqué par l’histoire. Comme il a certainement marqué l’histoire du cinéma dans son rapport aux questions de la représentation de la violence (le terrorisme), de la mémoire…et du rapport entre la fiction et le documentaire. Film culte inscrit dans la mémoire cinéphile ; il a décroché le Lion d’or à Venise et le prix de la critique internationale ;  il a été d’ailleurs cité parmi les cinquante meilleurs films de toute l’histoire du cinéma dans le classement établi annuellement par la revue britannique Sight and sound. Une liste établie par 846 professionnels du cinéma du monde entier, et où le film de Pontecorvo apparaît en compagnie de chefs d’œuvre du cinéma.
 Mais La bataille d’Alger est aussi un film politique. Sa sortie en France a été tumultueuse ; il a été pratiquement interdit des salles pendant longtemps. Refusé pratiquement à sa sortie en 1966 ; au début des années 1970, des lobbies nostalgiques de l’Algérie française ont perturbé sa nouvelle sortie acculant les distributeurs et exploitants à le retirer de l’affiche. Il fallait attendre 2004, pour le voir enfin bénéficier d’une double sortie en salles et en DVD. L’histoire de la réception du film est l’histoire de sa longue invisibilité. « Cela est significatif, indique Benjamin Stora, du rapport entretenu entre la société française, la guerre d’Algérie et sa représentation au cinéma ». Politique aussi quand on sait que le pentagone en a fait un film de référence ; le film est enseigné dans les écoles d’État-major et on rapporte que le film a été présenté dans une projection spéciale au pentagone le 7 septembre 2003, au moment où les troupes américaines s’enlisaient dans le bourbier irakien. Le film en effet apporte un éclairage à la problématique qui hante l’horizon des préposés à l’ordre dans une situation d’occupation et que les Américains ont résumé ainsi : comment gagner une bataille contre le terrorisme et perdre la guerre des idées ?
Rappel historique

Peut-être qu’il faudrait rappeler le contexte historique du film en commençant par distinguer la bataille d’Alger, sujet du film, de la guerre d’Algérie. La première est une séquence de la seconde. Celle-ci est d’une durée plus longue ; officiellement elle a démarré le premier novembre 1954 à l’initiative du FLN ; même si historiquement je dirai qu’elle est concomitante à l’occupation française rejetée d’emblée par le peuple algérien avec l’épisode phare de la guerre menée par Emir Abdelkader.   Le film relate justement la période de la guérilla urbaine que les historiens situent entre 1956 et 1957. Pratiquement cela va de l’arrivée des parachutistes français  à Alger le 8 janvier 1957 et la fin des attentats avec l’éradication des cellules du FLN et leurs principaux responsables le 8 octobre 1957. Pour l’historien et spécialiste du sujet Mohamed Harbi « Tout commence quand, face à l’option sécuritaire du gouvernement français, le FLN décide de mettre en œuvre une stratégie de la terreur et de faire d’Alger une vitrine de la résistance ». Alger s’embrase. On passe des mitraillages collectifs à la pose de bombes dans des lieux publics. A la terreur des uns répond la contre-terreur des autres ; le point paroxystique est atteint le 27 juillet 1957 quand 9 bombes vont exploser simultanément dans Alger. Les militaires vont user des moyens forts pour atteindre le noyau du FLN à la Casbah. La torture et les exactions sont monnaies courantes. Mohamed Harbi : « Les parachutistes calquent leur organisation sur celle du FLN, s’assignent les mêmes tâches que lui exercent une gestion de type totalitaire sur la société. Il n’y a plus d légalité. Tous les moyens sont utilisés : bouclage de la ville, quadrillage de l’espace urbain et des populations, multiplication des centres de torture, ouverture de camp de transit et de tri, fichage généralisé ». Le FLN est écrasé ; les principaux dirigeants politiques sont arrêté dont le célèbre Larbi Ben Mhidi (froidement assassiné quelques jours après son arrestation) et le 24 septembre, le noyau militaire de la zone autonome d’Alger est neutralisé avec l’arrestation du chef des opérations militaires Yassef Saadi.
La fiction avec les outils du documentaire.
Yassef Saadi qui va justement participer au film La bataille d’Alger à partir de ses mémoires mais aussi en participant à la production du film. Une production indépendante italo-algérienne. La  présence de Saadi dans la production, dans le scénario et également en interprétant son propre rôle de dirigeant du FLN dans la casbah va signer la première caractéristique du film et lui donner un statut qui transcende les frontières entre la fiction et le documentaire. La première impression du spectateur qui découvre le film la première fois est celle d’avoir assisté à un documentaire ou carrément à un reportage de la télévision. Résultat obtenu grâce à un travail de l’image, du montage et de la mise en scène qui amène le critique à trouver un nouveau concept pour classer le film. Jacques Rancière parle de « fiction documentaire ».  On peut aussi dire que la bataille d’Alger est une fiction menée avec les outils du documentaire. Je rappelle que le film a été tourné. C’est-à-dire trois ans à peine après la fin des événements qu’il relate dans son film. Beaucoup de « personnages » du film ont été des protagonistes des faits qu’ils ont incarnés au cinéma. J’ai déjà cité le cas de Saadi interprétant son propre rôle (Jaafar dans le film). Les figurants sont les habitants de la casbah ; la quasi-totalité des 138 rôles du scénario ont été tenus par des non-professionnels avec le plus célèbre d’entre eux celui qui va jouer Ali Lapointe, Brahim Haggiag était un berger dans les régions d’Alger.
Outre les personnages, les lieux eux-mêmes ont été les lieux historiques des événements relatés avec les ruelles de la casbah et son fonctionnement comme un vaste huis clos où se déroulent les actes d’une tragédie moderne.
Ajouter à cela le recours au noir et blanc et un travail sur le grain de l’image pour en faire une image datée comme celle que l’on voit dans les actualités. Une prouesse esthétique d’autant plus que le film n’a pas eu recours à l’insertion d’images d’archives. « Nous avons longuement travaillé la photo au laboratoire pour qu’elle ressemble à l’image télévisée, raconte Pontecorvo…Ainsi le spectateur se sent-il concerné comme s’il assistait à des événements qui se déroulent près de chez lui ou comme s’il était lui-même dans la rue à ce moment-là ».
Cette esthétique documentaire est portée cependant par un vrai travail de mise en scène, un travail sur le montage qui assure au film un rythme qui frise souvent le suspense et un travail de la caméra qui tantôt à l’épaule tantôt s’immisçant dans les interstices du récit pour plonger le spectateur dans l’action. Certaines séquences font alors débat comme toutes celles qui décrivent les personnages dans les lieux où ont été déposées les bombes. Les choix esthétique finissent par croiser des questions d’éthique.





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