mercredi 9 décembre 2015

Festival de Marrakech lettre 2

Lettre 2


Deux figures féminines de notre temps
C’est la femme qui  inaugure les récits de la compétition officielle de la 15ème édition du festival de Marrakech. Ce sont en effet deux figures féminines aux destins marqués du sceau de notre temps qui portent les deux films de cette première journée riche en images. L’une nous vient de l’orient extrême avec le film sud coréen, Steel flower   et l’autre du moyen orient avec le film iranien Paradise.
Un cinéma de l’immersion
Le film du sud-coréen Park Suk-young, Steel Flower  renoue avec une tradition narrative et thématique récurrente dans le nouveau cinéma sud-coréen, découvert ici même à Marrakech, avec des protagonistes happés par les conditions de l’insertion au sein d’un milieu hostile ou du moins difficile. C’est une SDF que nous suivons dans une errance existentielle, au sens physique du mot puisqu’il s’agit pour la jeune Ha-dam de trouver chaque soir un gîte et de quoi se nourrir. N’ayant pas de téléphone ni de domicile fixe, toutes les portes lui sont fermées ; sa quête prend les allures d’une errance dans un univers nocturne, sub-urbain où les néons d’une lumière factice renvoient à davantage d’enfermement, et de violence. Une violence sociale, celle de la misère et de la solitude et une violence physique, celle générée par les instincts de survie qui font que les marginaux et les faibles sont les plus violents entre eux. La caméra de Park Suk-young nous embarque dans un récit où la caméra colle au personnage, souvent de dos, selon un dispositif scénique qui rappelle le procédé popularisé par les frères Dardenne, dans Rosetta. Un cinéma de l’immersion qui fait que le spectateur est constamment intégré à cette course effrénée, compagnon passif du personnage. C’est la bande son qui offre une ouverture au drame. L’attention de Ha-dam sera attirée, en effet, par le son de danseurs de claquette. L’issue du drame passera alors à travers l’acquisition de chaussures adéquates ; mais après un long processus initiatique, fait de violence et de révolte retenue (l’image finale de la houle et de la mer déchaînée).
Sous le voile, la braise
Hanieh est l’autre figure féminine de cette première journée de la compétition officielle, héroïne deParadise du jeune cinéaste iranien de Sina Ataeian Dena. C’est une institutrice dans Téhéran d’aujourd’hui mais qui est appelée chaque jour, pour rejoindre son école située dans une banlieue pauvre, à parcourir toute la ville. Nous retrouvons la même dramaturgie structurant les deux films ; celle de la quête. Si dans Steel flower la quête du personnage est orientée vers l’acquisition d’un emploi et d’un abri ; celle de Paradise est d’être mutée vers une école proche de son domicile. Mais ce qui intéresse d’abord dans ce premier long métrage de Sina Ataeian Dena, c’est l’histoire du film lui-même. Comme il le signale dans le générique de fin, c’est un film tourné sans autorisation ; le tournage qui a duré plus de trois ans a usé de différents stratagèmes y compris en combinant des scènes tournées dans de vrais décors et d’autres  fabriquées numériquement. En somme, des images volées à l’instar du film Taxi de Jafar Panahi. Le frère de ce dernier est d’ailleurs présent dans le générique du film comme producteur. Le résultat est un constat accablant de l’Iran d’aujourd’hui. Mais un constat qui refuse de s’enfermer dans les clichés véhiculés à l’égard de l’Iran des Ayatollah. Si un voile noir pèse sur la vie sociale, le film va au-delà du voile pour capter les signes de cette vie qui palpite comme le feu de la braise sous la cendre. Centré autour de la figure de la femme, le récit s’ouvre largement sur la réalité multiple d’une société en mouvement. A l’image de ses écolières qui s’acharnent à jouer au football malgré les injonctions morales de la directrice, chantent et dansent dans le bus du transport scolaire. L’une d’entre elles rate même ce bus, un matin, car elle est revenue à la maison chercher son vernis à ongle, pourtant strictement interdit. A l’opposée du rythme infernal du film sud-coréen, ici, le récit s’offre des moments de pause avec des scènes poétiques, des plans fixes de méditation…ou avec des images en abyme comme quand Hanieh vient admirer, de temps en temps, un aquarium : des poissons aux jolis couleurs mais qui se meuvent dans un univers fermé.
Le film est en outre truffé de clins d’œil aux films de ses aînés ; en matière d’engouement des jeunes filles pour le football, cela nous rappelle, Hors jeu de Jafar Panahi qui décrit comment une femme est amenée à se déguiser pour accéder au stade de football. La scène où Hanieh se rase les cheveux n’est pas sans rappeler la femme sans cheveux dans la voiture de Ten de Abbas Kiarostami…une sorte de filiation artistique qui assure au film une autre forme de légitimité, qui en fait un film iranien, même sans le visa de ses détracteurs bureaucrates.



Aucun commentaire:

Albachado de Hassan Aourid

  L’intellectuel et le pouvoir ou la déception permanente ·          Mohammed Bakrim «  Avant d’être une histoire, le roman est une in...