jeudi 1 octobre 2015

Rif 58-59 de Tarik El Idrissi

Contre le silence, réhabiliter la mémoire

Rentrée sous le signe de l’émotion et de la mémoire pour l’association des rencontres méditerranéennes du  cinéma et droits de l’homme (ARMCDH) qui inaugure ses séances du jeudi avec un film emblématique de l’esprit du temps, « Rif 58-59, briser le silence » du jeune réalisateur Tarik El Idrissi. Emotion, mémoire, esprit du temps…sont en effet des éléments qui peuvent orienter une approche du film. C’est un film qui revendique en outre son inscription dans un genre, celui du documentaire. Le documentaire historique de surcroît. Ce faisant, il est indissociable d’un constat relevant de ce que nous avons appelé l’esprit du temps, celui qui amène plusieurs productions artistiques à opérer un retour sur le passé, à revisiter des pans de la mémoire collective. Alors que le film historique est constitutif de la production cinématographique dès ses origines notamment chez les américains, le film de Tarik El Idrissi relève de ce que nous pourrions qualifier de cinéma mémoriel. Face à la crise de la modernité, qui s’est formée en partie contre le passé « du passé faisons table rase » était un mot d’ordre en vogue, voici venu le temps de la mémoire généralisée. Il est révélateur de constater que c’est un réalisateur de la toute nouvelle génération des cinéastes marocains qui abordent frontalement, un sujet de l’histoire récente du pays. De quoi s’agit-il en effet ?  Il s’agit d’un retour sur les événements dramatiques dont le Rif a été le théâtre au lendemain de l’accès du pays à l’indépendance. En mots plus clairs de l’intervention armée du pouvoir central pour mater un soulèvement populaire dans cette région connue pour ses traditions frondeuses. Le synopsis du film ne résume que partiellement le sujet. En fait, il ne s’agit pas « d’un soulèvement contre la création du nouvel Etat marocain ». cet énoncé est faux du point de vue du contenu du film comme du point de vue de l’histoire. En 1958, date du début de la répression, il n’y avait pas la création d’un nouvel Etat marocain ; celui-ci est beaucoup plus ancien. Il est erroné de parler de « création » de l’Etat. Il s’agit plutôt d’un conflit, aux origines sociales et culturelles indéniables, qui relevait des règlements politiques entre les forces qui se disputaient le pouvoir. Le film est basé sur des matériaux historiques, documents d’archives et surtout des témoignages poignants des survivants du massacre perpétré par les forces de l’ordre. Avec la présence de cautions savantes, notamment les interventions d’historiens confirmés. Cependant, si la visée d’un documentaire historique est souvent portée par une démarche de neutralité, ici Tarik El Idrissi affiche clairement son parti pris au bénéfice d’une mémoire longtemps refoulée. Dès le titre du film le programme est annoncé avec « Briser le silence ». Enoncé qui ne manque pas de violence « briser » pour répondre à la violence historique subie par les populations rifaines. Une double violence, celle des événements eux-mêmes (les témoins rapportent des scènes atroces de violence physique) et celle du silence qui a longtemps pesé sur cette dimension tragique de notre histoire. Déchirer le voile du silence, pour libérer la parole et ouvrir devant les images nationales tout un champ d’investigation qu’un fil a brillamment entamé, celui de Laila Kilani Nos lieux interdits.   Le rôle de la caméra est ici de corriger une omission historique. C’esy une véritable arme contre le silence. La métaphore vient d’ailleurs dans la bouche d’un témoin dans une réplique d’anthologie qui mérite de figurer dans le panthéon de notre cinéma. Lors de son récit émouvant il cite les armes utilisées et parle « de mitrailleuse porté par un trépied comme celui que vous avez ». En faisant le geste vers le trépied de la caméra. C’est extraordinaire comme échange symbolique, au-delà des supports, la violence demeure. Une violence en appelle une autre. La  violence physique et militaire ne saurait légitimer la violence de la récupération et de la manipulation des faits. D’où l’importance du travail de la mise en scène et de la mis en distance. Chaque type de mise en scène, chaque mode de montage détermine une place pour le spectateur. C’est le débat que nous aimerions engager avec le jeune réalisateur : quelle marge de manœuvre son film déploie au bénéfice d’une réflexion autonome du spectateur ? Ses choix de mise en scène posent indéniablement des questions d’ordre éthique ; en filmant ce passé, il vise à dire quelque chose sur le présent. Toute mise en scène du passé porte en filigrane des enjeux sur le présent et l’avenir. En choisissant de s’exprimer par les moyens du cinéma, il ne s’agit plus de raconter au premier degré mais de poser des questions inhérentes à la représentation.

Ce n’est pas le moindre mérite de ce film sincère, émouvant, pertinent et qui au-delà du Rif s’adresse à notre mémoire blessée et bafouée. 

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