samedi 28 février 2015
jeudi 26 février 2015
lueur de cinéma à Tanger
Lueur de cinéma à Tanger
L’esquisse d’une ligne de
partage qui traverse les films de la compétition officielle commence à se
dessiner à quelques moments de la clôture et du palmarès de la 16ème édition du festival national du film. Une
ligne de partage née de l’inscription de chaque film dans une démarche plus au
moins portée par un souci de cinéma. La plupart des films, ceux des jeunes
« cinéastes », notamment, sont des téléfilms en instance de diffusion.
Des images formatées et des discours lisses sans aspérité ni audace ont
caractérisé l’écriture dominante de cette édition…. Le festival somnolait
(après le coup de semonce de Lagtaâ le premier jour) quand Tala Hadid l’a
réveillé ! Son film, La nuit entr’ouverte a semé du doute, secoué les
regards et a aiguisé l’intelligence. Bref, une lueur de cinéma a percé dans le
brouillard cathodique qui pesait sur Tanger.
Le film était passé comme un
OVNI dans le ciel serein du festival de Marrakech, son titre en anglais, avec
une traduction timide en arabe, The narrow frame of midnight (Itar el-Layl), a
certainement rebuté plus d’un. Le premier long métrage de Tala Hadid est
pourtant un film de notre temps. Il est le plus inscrit dans l’actualité :
n’aborde-t-il pas à sa manière le départ des jeunes pour rejoindre les guerres
du moyen orient ? Mais il le fait par les moyens du cinéma, par le biais d’une
narration non linéaire ; un récit éclaté, polyphonique. Un film choral qui dit
la complexité du monde ; on y retrouve les thématiques et les figures chères à
Hadid : la quête, le travelling d’accompagnement, l’image de l’enfance…pour
accéder à cet OVNI, il faudra certainement passer par Gilles Deleuze : à
l’image mouvement du cinéma dominant, Tala Hadid oppose l’image temps : « des
personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés
à l’errance ou à la balade ».
Le bon hasrd de la programmation a mis le film
avec celui très attendu de Mohamed Mouftakir, L’orchestre des aveugles…C’est
pour dire que ce fut, pour les festivaliers cinéphiles, une journée faste où le
cinéma repris ses droits…
L’orchestre des aveugles, je
le dis d’emblée, a bousculé l’horizon d’attente de ceux qui voulaient aborder
le film à partir d’a priori ou selon une grille de lecture établie d’avance.
Erreur fatale d’une réception paresseuse car chaque film propose son programme
de lecture ; et le film réussi et celui qui crée cet écart avec les préjugés.
Je pose rapidement (en attendant d’y revenir en détail) comme hypothèse de
lecture qu’avec son deuxième long métrage, Mouftakir aborde d’une manière
personnelle une équation encore en friche dans le cinéma marocain, celle de
proposer un cinéma d’auteur ouvert sur le grand public ; ou dit autrement, un
cinéma grand public qui ne renonce pas à ses ambitions artistiques, restant
fidèle à une conception « auteuriste » du cinéma. Cette stratégie d’ensemble ou
cette finalité non écrite se décline à travers des moyens et des procédés. Le
film en effet s’inscrit dans une démarche d’écriture que l’on qualifierait
d’autofiction. Le drame, le contenu scénaristique, se réfère à des éléments
d’autobiographie…Sauf que l’autofiction ne se réduit pas au simple de récit de
vie. C’est l’autobiographie marquée par le discours, portée par le langage
choisi par l’auteur en l’occurrence, le langage du cinéma. Mouftakir fait du
Proust avec les moyens du cinéma. Il rejoint ainsi un autre auteur « cérébral »
de notre cinéma, Moumen Smihi qui a entamé un vaste projet d’autofiction.
A contenu nouveau, forme
nouvelle, semble être le code qui a mené le travail de Mouftakir pour son
deuxième long métrage. Ce retour à un passé biographique est organisé non pas
selon un découpage dicté par la mémoire mais selon les codes narratifs d’un
cinéma que l’on qualifierait de postmoderne. Postmodernité qui transparaît dans
les références cinéphiliques qui marquent l’orchestre des aveugles, dans
l’éclectisme des modes narratifs choisis, le poétique alterne avec le réaliste
; l’épique avec le comique. Le genre autofictionnel répond en outre à un
traumatisme originel qui traverse tous
les films de Mouftakir mais abordé d’une manière explicite dans son deuxième
long métrage, à savoir la disparition précoce du père. Cette mort non annoncée
va marquer l’enfant Mimou et ouvrira la
voie à une crise identitaire qui se révélera à un double niveau : celui
du sujet/narrateur ; celui du texte/narré produit par le sujet. Une crise
d’identité textuelle à travers un moi morcelé et un récit fragmenté…d’où le
malaise chez une partie des récepteurs. Dans l’orchestre des aveugles, le
caractère fragmenté du récit est porté par le recours à la figure centrale du
montage et à la multiplication des références visuelles : images plastiques et
poétiques des lieux supérieurs (les rencontres avec Shama dans les terrasses)
versus des images d’un réalisme quasi tragique dans les milieux d’en bas
(chambres sombres du rez de chaussée). Le haut et le bas en alternance et
fonctionnant comme vecteur d’une tension qui marquera le sujet. Le lieu du
récit, une véritable grande maison au sens de Mohamed Dib, est filmé comme un
vaste huis clos. Les contraintes de
production d’une reconstitution historique ont réduit, certainement et limité
tout recours à un contre-champ spatial ; le drame est centré alors sur un jeu
entre la verticalité, indice du rêve et du désir (lieu de rencontre avec
l’objet du désir : Chama) et l’horizontalité, espace de l’interdit, de la
violence, du faux et de l’usage du faux (la note de l’école falsifiée,
l’orchestre des aveugles qui n’en est pas un…).
les enfants de la télé à tanger
Les enfants de la télé débarquent à Tanger
Oui, on peut le dire, certains
veulent présenter cette édition du festival national du film comme une édition
« très particulière ». On peut
les rejoindre sur le même constat mais non à partir du même diagnostic ni sur
les mêmes critères de « particularité ». Certains, obnubilés par leur arrivée sous la
lumière lâchent la proie pour l’ombre et mènent le débat sur le cinéma vers des
voies sans issue …or l’essentiel du festival national est ce que l’écran du
Roxy apporte comme éléments de nouveautés ou de changements dans ce qui fait
les fondements d’un cinéma, en termes de génération et de choix esthétiques et
comment ce cinéma dialogue avec
l’imaginaire de son époque. Et là, des particularités se dégagent effectivement.
La première caractéristique de
cette édition de « renouveau », peut être signifiée par ce
postulat : l’emprise définitive de la télévision sur le cinéma. D’abord
avec ce qu’on pourrait appeler l’arrivée des enfants de la télé sur grand
écran. Des jeunes (et moins jeunes) cinéastes ayant fait leurs premières armes
à la télévision présentent à Tanger leur long métrage. C’est le cas de Younes
Reggab, Les feuilles mortes, de Yassine Fennane, Karyan Bollyood, de Mohamed
Ali Mejboud, Dallas, de Sanae Akroud, khnifsset rmad, de Mohamed Karrat, Un pari
pimenté, de Youssef Britel, Chaibia, de Mohamed Lyounssi, L’échrape rouge, de
Saïd Naciri, Les transporteurs, de Addellah Ferkouss, Le coq et je pourrai même
y ajouter le « vétéran » Driss Lamrini puisque, organiquement il est
issu de la télévision, présent lui aussi à Tanger avec son troisième long métrage,
Aida. La liste pourrait même être élargi à Youssef Fadel scénariste de cinéma,
mais ayant passé d’abord par la télévision avant de tourner Agadir express. Deux
cinéastes restent en marge de cette tendance, Mohamed Mouftakir, avec
L’orchestre des aveugles qui est en train de se forger une carrière et
Abdelkader Lagtaâ un rescapé de la génération des années 70 et qui fait figure
à Tanger d’un véritable extra-terrestre.
Nous sommes alors en face d’un
raz de marée cathodique qui n’est pas loin d’avoir sur le plan esthétique et
dramatique, les conséquences d’un véritable tsunami. Signe éloquent dans ce
sens, le recours des organisateurs, pour la formation du jury long métrage,
« nationalisé », à des figures de proue de la télévision (deux
responsables de programmation et un scénariste). Gageons qu’ils ne seront pas
trop dépaysés, ils retrouveront les codes et les univers qu’ils ont contribués
à faire émerger, des Ramadans durant…C’est pour cette nouvelle donne que j’ai
proposé d’ouvrir la présélection pour la compétition du festival national à
tous les longs métrages produits le long de l’année y compris pour des longs
métrages de la télévision (remarquez que je n’ai pas dit téléfilm) non encore
diffusée. Je le dis sans gaieté de cœur mais le fait est là : les
anciennes frontières défendues par la cinéphilie sont devenues poreuses. La
télévision est le stade suprême du cinéma (merci Lénine !). Elle a forgé
toute une génération en termes de consommation et de production qui vient
prendre le pouvoir au cinéma ouvrant la voie à une crise « identitaire »
de ce que nous appelions « le septième art ».
Reste maintenant à voir ce que
cela a engendré comme modes d’expression de l’imaginaire et quelles figures
sociales sont mises en valeur. En somme quel Maroc ces films ont scénarisé.
mercredi 25 février 2015
Le cinéma marocain et mythologies
Mythologies marocaines
Quel est ce pays qui apparaît
à l’écran du festival national du film ? Quel est ce Maroc que les
scénarii de la compétition officielle ont dramatisé ? Les films sont des véhicules de mythologies
qui finissent par irriguer leurs propos et apparaissent comme des miroirs de la
société qui les a vu naître. Lors d’un krash d’avion, moult interrogations
viennent nourrir différentes hypothèses. Jusqu’à ce que la boîte noire livre
des clés de compréhension. Nous formulons l’hypothèse aujourd’hui que le cinéma
marocain est la boîte noire incontournable pour comprendre la société
marocaine. Une société traversée de multiples mutations à différents niveaux et
qui souffre du déficit d’approches analytiques. Le professeur Rahma Bourquia
parle d’une « société sous-analysée ». Peut-être du point de vue des grilles de
lecture académique traditionnelle, issue de la sociologie ; celle-ci, chez nous
avait pâti des années de plomb et ses départements évacués du cursus
universitaire. Le cinéma offre un corpus, riche et diversifié, offrant au
regard observateur et attentif, tout un discours sur la société marocaine. Un
discours derrière le discours, le dit et le non-dit contribuent à établir un
bilan de santé d’une réalité du point de vue de son imaginaire.
Pour comprendre l’Amérique,
dans son processus d’évolution historique, il n’y a pas mieux que le western…et
le film noir. La configuration du programma narratif, les stéréotypes véhiculés,
les figures féminines mises en scène les lieux et les espaces construits…disent
les angoisses, les interrogations qui traversent la société américaine à
différents stades. Quel Maroc alors se dessine en filigrane à l’écran ? Un
synopsis : crise de soi et fragmentation identitaire.
C’est, en effet, et à partir
des films vus jusqu’à mardi, un pays clivé et divisé, atteint d’un mal
incurable (Aida de Driss Lamrini) ; au bord de la crise des nerfs et du
dédoublement de la personnalité (Les feuilles mortes de Younes Reggab). Un pays
qui se souvient de ses blessures (La moitié du ciel) souffrant d’un mal de
voisinage (L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi) et qui revendique un droit de
mémoire (le Rif 1958 – 1959). Un pays qui peine à s’inscrire dans une altérité
positive dans son rapport à l’autre qu’il porte en lui-même : présence
remarquée de la communauté juive ( la famille de Aïda dans le film de Driss
Lamrini ; Mme Serfaty dans Les feuilles mortes de Reggab Jr.) et de la langue
amazighe (dans Rif 1958-1959)…
Mais c’est aussi un pays qui recherche
du réconfort dans la fiction pure ou la comédie (Les transporteurs de Saïd
Naciri)) dans le grotesque qui évacue un surcharge de frustration (Karyan
Bollyood de Yassine Fennane) ou encore en se racontant des success story
(Chaïbia de Youssef Britel).
La réception du seul
« documentaire » inscrit en compétition officielle, Rif 1958- 1959, de Tarik El Idrissi dénote de la part du
public une forte attente par rapport aux récits mémoriels. Un engouement qui
dit que le commerce du passé fait florès. En abordant frontalement, un sujet
porteur d’une sensibilité politique évidente, le cinéaste prend le risque de
« la clôture du sens », c’est-à-dire de s’enfermer dans une interprétation
univoque d’une histoire en train de s’écrire et dont l’encre/le sang est encore
frais. Certes, il s’appuie sur deux béquilles de sécurité, l’une
institutionnelle (le CNDH et le CCME) et l’autre académique (la référence aux
historiens) mais ces précautions d’ordre éthique sont vite neutralisées par son
écriture cinématographique, par se choix de mise en scène avec l’usage
envahissant de la musique, des zooms sur les victimes, et du montage sec sans
distance…Bref un usage fictionnel d’un matériau documentaire. Un documentaire
qui fait pleurer son récepteur a raté sa mission.
lundi 23 février 2015
la moitié du ciel, vers une nouvelle polémique
Ou comment aborder la forme
cinématographique de l’histoire. L’histoire a animé, en effet, les journées
ternes du FNF. C’est ainsi que très vite le festival national du film est entré
dans le vif du sujet avec l’irruption de l’Histoire dans les histoires
racontées par les films de la première journée de la compétition officielle. Deux
films ont puisé dans des faits historiques du Maroc contemporain leur matériau
dramatique : ce que l’on a convenu d’appeler la guerre des sables de 1963
entre le Maroc et l’Algérie pour le film L’écharpe rouge de Mohamed Lyounssi et
les arrestations de nature politique du début des années 70 dans les milieux de
l’extrême gauche marocaine pour le film La moitié du ciel de Abdelkader Lagtaâ…
Cela n’a pas manqué d’ailleurs de déclencher des débats passionnés, notamment
autour du film La moitié du ciel. Passionnés car les faits rapportés sont
encore omniprésents comme souvenirs douloureux pour certains voire comme
cicatrices indélébiles pour d’autres. Et du coup la distance nécessaire pour
accueillir une fiction cinématographique a été neutralisée au bénéfice d’une
demande quasi éthique, celle de devoir de mémoire. Ce qui n’est pas inscrit
dans le protocole narratif d’un récit qui puise sa légitimité intrinsèque dans
un point de vue spécifique celui de la narratrice, en l’occurrence Jocelyne
Laabi qui dans son livre La liqueur d’aloès rapporte entre autres les faits inhérents
à l’arrestation de son mari, le poète Abdellatif Laabi. Le débat a pris très
vite une dimension passionnée voire tragique suite à l’intervention de la sœur
de la militante Saida Elmenbehi. L’intervenante a protesté contre la manière
avec laquelle certains dialogues du film ont rapportée le décès de sa
sœur ; « morte dans mes bras, dit-elle du fait de sa longue grève de
la faim ». Le débat a pris une autre tournure quand elle a exigé des
excuses, a demandé de revoir la scène incriminée et a menacé les promoteurs du
film de poursuite judiciaire. Abdelakder Lagtaâ, son équipe et son
co-producteur n’en revenaient pas, abasourdi par l’ampleur de la réaction.
Au-delà du sentiment humain
compréhensible face au poids encore pesant sur le cœur et la mémoire de cette
disparition tragique de la militante et poétesse Saida Elmenbehi pour les siens
et pour l’ensemble des progressistes, la réaction à l’égard du film est
disproportionnée et risque d’ouvrir une voie sans issue pour le cinéma
marocain, celle de voir les films réécrits à la lumière des débats de l’hôtel
Chellah à Tanger. Si chaque film doit être revu et corrigé à la lumière de la
réaction d’une partie du public au festival national du film, il serait alors
plus logique d’arrêter cette mascarade et revenir au temps du silence ; le
silence de la nuit et des cimetières…Le combat de Saïda Elmenbehi et de tous
les démocrates auraient été alors vain. Car ne l’oublions pas, Saïda a donné sa
vie pour la liberté d’expression. Si celle-ci est muselée par les gardiens d’un
quelconque ordre (moral ou mémoriel), c’est tout l’édifice qui s’écroulerait.
L’enjeu de ce qui s’est passé ce soir-là à Tanger est autrement plus grave. Il
rappelle comme un remake tragique ce qui s’est passé dans les mêmes lieux, il y
a dix ans, en 2005, autour du film Marock. L’histoire, se répète dit-on. Mais
comment.
Avec le film de Lyounssi, qui
pour sa part a « osé » une reconstitution historique loin d’être
ridicule, d’un drame familial autour de la frontière maroco-algérienne, et le
film de Lagtaâ nous aurions aimé voir les débats prendre une autre
dimension ; notamment autour de la problématique de la présence de
l’histoire dans le cinéma. Quelle forme cinématographique pour un fait
historique ? Ecriture historique et écriture cinématographique quels
rapports et quels échanges au bénéfice des uns, les historiens et des autres,
les cinéastes ? Quelle relation entre récit filmique et récit historique ?...Autant
de questionnements qui nourrissent une attitude et un positionnement critique à
l’égard du souvenir, de la mémoire et des récits. Un travail de réflexion et
une pose d’humilité pour montrer que rien d’avance n’est acquis, ni les drames,
ni la morne banalité du quotidien. S’attacher pour un récit refusant de rien
clore ; comme le suggère le plan final du film de Lagtaâ montrant, non pas
des retrouvailles, mais la voiture qui
file dans les champs, avec une femme et des enfants…décrivant l’événement comme
s’il n’était pas achevé ou définitivement accompli. Une posture énonciative qui
libère le récit cinématographique et renvoie la balle à l’histoire.
vendredi 20 février 2015
Film d’ouverture du festival national : L’Exposé de Ismaïl Faroukhi
Identité
de l’écriture, écriture de l’identité
L’immigration/ l’émigration,
l’orthographe révèle le point de vue et instaure déjà la problématique. Parler
de l’immigration, c’est être déjà dans le territoire de l’autre, épouser son
regard, ses textes, ses lois.
L’immigration a été traitée
pendant longtemps en termes économiques, en chiffres et statistiques ;
elle est désormais la question culturelle par excellence de notre temps. Elle
est au centre des débats de la géostratégie ; elle est au cœur des
mutations qui traversent les sociétés d’accueil et posent aux sociétés
d’origine une nouvelle configuration de la question identitaire. Mutation
fondamentale l’immigration n’est plus un concept, un objet construit par le
discours des experts ; c’est un sujet social ; un acteur économique,
culturel ; elle est un lieu de production de discours ; plus encore
elle est le lieu de production de producteurs de discours : les émigrés
parlent d’eux-mêmes. Au mutisme sublimé par l’éloquence du silence des
générations précédentes succèdent une nouvelle rhétorique qui emprunte divers
supports pour accéder au statut de sujet : des musiciens, des sportifs ont
ouvert la voie ; désormais c’est autour des écrivains et surtout de
cinéastes…le discours sur l’émigration ne saurait remplacer le discours des émigrés sur eux-mêmes.
Longtemps la musique a été le
vecteur privilégié de cette parole émanant de la marge sociale et
culturelle ; depuis quelques années déjà c’est autour de productions
audiovisuelles, au sens générique, de venir enrichir cette panoplie. Une
production portée par la soif de dire le moi prohibé des écrans, d’assouvir ce
besoin de signes d’images ; le désir d’une génération née avec la télé à
la maison ; née avec le cinéma comme référent culturel incontournable dans
les sociétés d’accueil.
Une génération qui nous propose
alors très vite des films installés dans les événements, dans le factuel ;
tâtonnement du signe, errance de la mémoire, privée d’ancrage. La plupart de
ces films ont commencé comme des variations sur cette perdition où l’existence
errante, la désespérance et le vide extrêmes sont autant de promesses que de
programmes. Ouverts sur plusieurs possibles narratifs. Où tout peut
arriver ; au sens propre comme au sens figuré : de l’actualité
douloureuse des banlieues à l’esthétique beur, du roman au film, de la fiction
au documentaire, du long métrage au court. Le court justement voie royale
d’expression pour une génération qui se prend en charge pour dire son récit. A
l’instar de L’Exposé d’Ismaïl Faroukhi.
L’Exposé :
le titre de ce premier court métrage offre une certaine stabilité sémantique.
C’est un syntagme autonome (l’équivalent d’un plan fixe) ; il instaure
déjà un registre de lecture avec une première connotation didactique. En tant
que signifié du premier degré il renvoie à une production cinématographique;
mais ce signifié devient lui-même signifiant d’une lecture au deuxième degré et
renvoie par conséquent à un univers didactique, de la transmission, de
l’échange. Hypothèse confirmée par le récit développé durant les vingt minutes
du film : nous sommes en présence d’une écriture de la transparence ;
de la lisibilité. Le court métrage de Faroukhi revendique-t-il d’emblée une
posture « classique », refusant de rompre avec les normes de la
narration en vigueur ? « Est classique tout texte lisible ». Le
film en effet n’emprunte aucune voie expérimentale ; rien d’extraordinaire
ou d’éblouissant, c’est une tranche de vie ; une coupe franche dans le
quotidien d’un enfant, sa famille et son univers le plus proche. Mais ce n’est
là qu’une première impression ; un synopsis. Le film se laisse en fait
porter par une grande authenticité ; il crée une ambiance et embarque le
récepteur dans une logique de réception, dans une logique de texte. Et qui dit
texte, dit écriture, construction. Et ma foi, l’Exposé est bien construit, avec
du dit et beaucoup de non dit. Il est fait de mosaïques, de situations parfois
à peine esquissées ; de mouvements, d’attentes, d’angoisse, de jeux, de
fragments de drame. Et je dirai de promesses de tragédie, celle par exemple
inscrite virtuellement dans le programme narratif de Hafid
Sur un axe syntagmatique, l’exposé
fait défiler quatorze unités narratives
à partir d’un décompte réalisé sur la base du paramètre spatial. Un espace
narratif multiple, je ne dirai pas éclaté car il est structuré selon une
configuration homogène qui aide à restituer un monde uni, un univers
familier : la maison, la rue, l’école…je neutralise pour le moment toute
allusion à l’espace hors-champ diégétique (l’espace d’origine (le Maroc) versus
l’espace du rêve (la France, le Canada, la Mecque)…
La séquence d’ouverture est une
sorte d’exposé dans l’exposé. Elle permet en premier de découvrir des indices
du lieu de référence : un lieu, en l’occurrence une ville marquée
historiquement (la présence de monument) et culturellement (le plan de
l’église ; le son de cloche). Elle permet aussi l’entrée en lice du
protagoniste, le personnage principal ; c’est un enfant, il s’appelle
Réda. Les premières images l’instaurent dans le statut du héros ; ce n’est
pas un acteur connu, c’est d’emblée un rôle, un actant, sujet de l’énoncé, le
conducteur du récit. C’est le point d’ancrage narratif à partir duquel vont
désormais s’articuler tous les événements et tous les points de vue sur le
drame. Ce sont ces allées et venues qui dessinent la topographie du film et
c’est son action qui lui assure une dynamique. Mais très vite on s’aperçoit que
l’aire (la zone) de ses déplacements est restreinte.
L’espace narratif de l’Exposé est
un espace ouvert et limité, il est porté en fait par une logique binaire dictée
par les actants qu’il véhicule, invite ou propose. Chaque lieu du film propose
deux figures antinomiques :
La
maison
Le père =
|
Autorité
|
Distance
|
La mère =
|
Tendresse
|
Personne ressource
|
La
rue
Le frère =
|
L’autorité
|
L’envie
|
L’handicapé =
|
L’amitié
|
La communication
|
L’Ecole
L’institutrice =
|
Savoir
|
Discipline
|
Elisabeth =
|
altérité
|
Complicité
|
La maison et la classe sont dans
la perspective qui nous intéresse des lieux à forte charge symbolique.
L’univers de la dénotation s’inscrit en toute logique de récit dans une
fonction référentielle, informative permettant d’ancre le récit dans une
réalité. Mais ils nous intéressent aussi en tant que lieux textuels, lieux de
manifestations idéologiques : ils sont traversés de signes qui
s’inscrivent dans une rhétorique de l’identité : identité de l’écriture et
écriture de l’identité.
Quand la caméra entre dans la
maison (cinq occurrences), elle contribue à élaborer une poétique de l’espace,
forge « une psychologie sémantique des sites de notre vie interne ».
Elle dévoile ainsi l’organisation de cet espace exigu. Nous sommes dans un
univers d’enfermement : les portes, les murs, les couloirs, les
encombrements d’objets…nous sommes dans un paradigme de blocage, de
suppressions des issues repérables. La Maison est sans horizon. Sauf peut-être
à interroger l’imaginaire des uns et des autres. Le lieu réel est un lieu
fermé.
L’usage des portes est
particulièrement significatif : elles n’ouvrent pas sur d’autres espaces,
sur un ailleurs. Comme chez Bresson, ce sont des frontières (entre Réda et son
père notamment).
De ce lieu clos se dégage la
figure de la mère ; Nous sommes en présence alors d’un signe plein. La
mère est la figure centrale du discours identitaire. Ce n’est pas un hasard
d’ailleurs si elle constitue un signe récurrent de tout un cinéma maghrébin :
l’image inaugurale de ce cinéma n’est-elle pas la mère du Vent des Aurès. Une
figure reprise abondamment dans le cinéma de l’autre rive avec en particulier
le film Un thé au harem d’Archimède (le thé aussi est présent dans le film de
Faroukhi !). La présence de la mère n’est pas seulement sujet d’un énoncé
global mais c’est une présence qui se décline à travers une matérialité
sémiotique à travers notamment l’occupation de l’espace. Ses déplacements, ses
positions sont des indicateurs socioculturels, des opérateurs de sens à partir
de mouvements, de parcours et de rencontres. L’espace de sa représentation
filmique dessine l’espace culturel du corps féminin. L’exposé peut alors se
lire comme un exposé sur le corps féminin et sa clôture. Au sein de l’enfermement/exiguïté
générale, le corps féminin est un reclus de deuxième de degré. Un corps assigné
à résidence en l’occurrence la cuisine où la caméra ne parvient jamais à saisir
un corps en plan moyen, c’est toujours en cadrage serré. La plénitude passe à
travers d’autres vecteurs, le verbe notamment.
Le commerce des corps au sein de
cet espace trahit un échange, un partage de pouvoir et de champ. Le religieux
par exemple est investi par le père ; dans un plan fort on le voit lire le
coran, rêvant certainement d’accomplir
le pèlerinage de La Mecque (voir le décor d’une tapisserie sur le mur
restituant l’image de la Kaaba). La gestion du quotidien, l’éducation des
enfants relèvent du domaine maternel. C’est elle d’ailleurs qui se substituera
au dictionnaire pour répondre aux questions de Réda sur le Maroc pour préparer
son exposé.
La classe est l’autre lieu central
du film ; il est en position symétrique à l’espace de la maison. Mais ici,
la classe est le lieu de l’altérité, de la circulation de l’information, de l’intertextualité.
C’est le lieu doublement didactique ; d’abord par sa fonction
référentielle dans l’économie générale du récit et en outre parce que c’est
l’espace où le film produit son propre discours, sa propre didactique de
l’altérité. C’est le lieu du film où se produit un effet de morale : les
consignes, les indications de la maîtresse et un effet de culture. Le film va
en effet faire confronter la culture savante, légitimée par l’institution et la
culture anthropologique portée par les différents élèves, dans leur dire et
dans leur corps. L’école, notamment dans la tradition jacobine française vise,
par sa clôture comme dispositif de transmission, à reproduire l’enfant, comme
élève, par la mise en palce de pratiques nommées, le fameux curriculum, le façonner
en référence à une image idéale qu’il s’agit de réaliser dans la perspective
d’une intégration sociale. Ainsi Réda se voit dans l’obligation de réaliser un
exposé dans les règles : on lui donne un questionnaire pour le guider dans
sa recherche et on le renvoie à un modèle précis d’exposé.
L’enfant dans ce cadre
d’enseignement est réduit au statut d’exécutant de modèles, pur sujet
d’apprentissage intellectuel. On assiste à la négation systématique de l’enfant
comme sujet désirant : Réda veut faire un exposé sur le Canada parce que
c’est ce qui le motive et ce qui le relie avec son frère. L’institutrice le
ramène à sa réalité socioculturelle et lui impose un sujet sur son pays
d’origine ou plutôt de ses parents, le Maroc. L’identité comme assignation à résidence.
Le film révèle une forme de violence symbolique qui ramène l’enfant au giron
maternel, au propre et au figuré. Il joue un rôle de médiateur culturel entre l’institution et
la famille. Mais au prix de quelle censure ? De quelle mutation et bouleversement
psychologique ?
La séquence de l’exposé concoctée
avec la complicité de la mère est le moment le plus problématique du film.
Notamment autour de la définition de la culture qu’il laisse deviner ou
supposer. Le thé et le gâteau, thèmes clichés de l’offrande et de
l’hospitalité. Des indices pris comme marqueurs identitaires. La séquence du
thé s’inscrit en fait dans la logique de la fiction du paradis perdu, de la
culture originelle. L’Exposé, un brin nostalgique ? La bande son vient
élargir la perspective en refusant de verser dans une ghettoïsation de
l’appartenance puisque la maman initie son enfant au rituel du thé sur un fond
musical inspiré d’une chanson de Fayrouz. Une complémentarité entre la bande
son et la bande image. Tout l’art du cinéma réside dans la recherche d’une écriture qui
pense l’autre sans entrer dans un discours de maîtrise, sans le réduire à
l’état d’objet. C’est peut-être ce que veut nous dire le beau plan final de
Réda, son sourire plein de malice et de cinéma.
Festival national du film Tanger 2015
Festival national du film
Une
édition sous de nouveaux auspices
La 16ème édition du
festival national du film commence aujourd’hui à Tanger avec au programme de
l’ouverture, à la salle Roxy, la projection du court métrage L’exposé (1993) du
cinéaste franco-marocain Smaïl Ferroukhi ; la cérémonie comprend également
des hommages à la comédienne Malika Omari et au critique de cinéma Mohamed
Gallaoui.
Plusieurs facteurs font que cette
édition se démarque des précédentes ce qui amène les observateurs du champ cinématographique à la suivre avec une
attention particulière. Si le festival national est désormais un acquis
incontournable de la profession du cinéma, constituant un rendez-vous bilan
mais aussi humain et festif son organisation connaît des changements et des
modulations en fonction des choix conjoncturels. C’est ainsi qu’une nouvelle époque du festival commence avec M. Sarim Fassi Fihri, directeur
du CCM qui a succédé à M. Saïl. C’est une époque qui se caractérise déjà par le
retour en force des professionnels qui ont dicté un peu leur
« loi » quant à l’organisation
générale du festival et par le recours massif à la société civile pour arbitrer
les différentes compétitions du festival.
Le moment fort du festival a
toujours été la compétition officielle ; elle a été montée cette année
pour la première fois en procédant à une présélection dont le but principal
était de ramener le nombre de films inscrits à un nombre gérable. Les
professionnels ont opté pour le chiffre de quinze longs métrages (fictions et
documentaires). Le règlement précisant
que les documentaires ne devraient pas dépasser deux films. Finalement, la
liste obtenue (15 films retenus sur 22 inscrits) comprend 14 films de fiction
et un documentaire.
Une première lecture de la liste
des films en compétition permet de dégager quelques observations sur les
tendances qui traversent le cinéma marocain. On constate une forte présence des
premiers films (8 sur 15) ; deux films sont réalisés par des femmes ;
un scénariste qui passe derrière la caméra (Youssef Fadel), un biopic
(biographical picture) Chaïbia de Youssef Britel ; une star des séries
télévisées qui réalise son premier long métrage, Sanae Akroud ; des
champions de la comédie populaire (Abdellah Toukouna et Saïd Naciri) ; des
thématiques historico-politiques directement à travers le documentaire les
événements du Rif (dans Rif 58-59) ou via la fiction ( les relations
maroco-algériennes dans L’écharpe rouge) ; la disparition politique dans
La moitié du ciel de Abdelkader Lagtaâ) . La comédie populaire et le mélodrame
social portent de nouveau la fiction marocaine…à suivre de près !
Deux films seulement ont déjà été
distribués dans le circuit commercial, Le coq de Abdellah Toukouna et Les
transporteurs de Saïd Naciri. D’autres films ont été vus dans des festivals, à
Salé, pour Les feuilles mortes de Younès Reggab et Marrakech pour L’orchestre
des aveugles de Mohamed Mouftakir, la
moitié du ciel de Abdelkader Lagtaâ, Karyane Bollywood de Yassine Fennane, Un
pari pimenté de Mohamed Karrat et La nuit entr’ouverte de Tala Hadid.
Globalement, on peut donc dire que c’est une édition marquée par des inédits.
Un jury présidé par le romancier Mohamed Berrada et qui ne compte aucun
cinéaste ni producteur ni interprète est appelé à partager 13 prix pour ces 15
films. La dotation du Grand prix a été ramenée à 70 mille dirhams (au lieu de
cent mille) pour permettre le retour du prix de la réalisation. Un jury présidé
par le publiciste et scénariste Mohamed Laaroussi départagera pour sa part 15
courts métrages qui concourent pour trois prix. Des activités parallèles sont organisées comme
le traditionnel bilan de l’année écoulée et des tables rondes autour de sujets
précis comme l’avance sur recettes ou la coopération cinématographique entre le
Maroc et l’Espagne.
Mohammed
Bakrim
lundi 16 février 2015
Adieu Amouri Mbark
Une voix
authentique du Maroc profond
On le savait malade, mais on
entretenait un espoir, celui de le voir sortir, comme à son habitude, de cette ultime épreuve… car Amouri Mbark
appartenait à une espèce née pour combattre, pour affronter l’adversité,
naturelle et « culturelle » ; née pour gagner, à la sueur du
front, le droit à la vie ; le droit d’exister. Mais cette fois c’est le
mal qui a eu le dernier mot, il a fini par vaincre ce grand cœur aux sentiments les plus nobles.
La triste nouvelle du décès du
chanteur amazigh Amouri Mbark est tombée
tôt le matin du samedi et il a été enterré le jour même dans son village natal,
dans les environs de Taroudant, aux confins de l’Anti-Atlas. Le pays de
l’arganier, des mystiques, des poètes et des bergers ou des bergers-poètes. Là
où il a vu justement le jour, au début des années 50 du siècle dernier, au sein
d’une nature aride et quasi hostile ; là où il a appris que la vie ne lui
fera pas de cadeau (orphelin très tôt) où il a appris qu’il fait partie d’un
peuple à la culture séculaire chantée par les Roayess troubadours, mais réduite, par l’échange inégal dominant,
à la marge des circuits officiels…Il fit alors ses études dans la langue de
l’autre tout en nourrissant au fond de lui-même, le projet de rester fidèle à
la langue de sa mère et de la porter comme un gage ancestral. Cela fut fait
avec brio. A l’instar du paysan mélancolique des vallées asséchées de l’Atlas,
il trouva dans le chant et la musique le moyen d’exprimer sa
personnalité ; la musique comme voie royale pour se réapproprier une
culture, de lui rendre ses lettres de noblesse. Par fidélité à la mère.
Dans cette quête artistique et
culturelle, il rencontra des amis, des frères animés de la même passion ;
ils l’accompagnèrent dans une formidable
aventure qui donna un premier fruit, Ousmane, un groupe qui fut plus fulgurant
qu’un éclair. Ce fut l’un des groupes les plus populaires de la chanson
amazighe contemporaine. Puisant dans le riche patrimoine de Souss, composant
une musique portée par le dynamisme de la jeunesse, Ousmane avec Amouri Mbark
comme figure emblématique, s’est forgé une place de choix dans notre
mémoire ; comme symbole d’une génération qui découvrait enfin un renouveau de sa culture.
La vie ayant dicté ses lois
implacables, Amouri Mbrk entama une longue période de réflexion et de
recherche. Revenant une nouvelle fois toujours avec le même espoir, le même
projet culturel. Il eut l’idée judicieuse d’appuyer sa musique sur un socle de textes signés par d’illustres
poètes amazighs (Mestaoui, Azaycou, Akhayat…). Cela donna des chefs-d’œuvre,
que tous les jeunes de tamazgha et dans les banlieues froides abritant la
diaspora, fredonnent comme hymne à l’amour, à la joie, à la vie. Car Amouri Mbark fut la voix des sans voix : à l’exemple
des ouvriers arrachés aux plaines de Souss, du Rif, de l’Atlas et envoyés à la
brume des mines et usines du nord, thème de son titre mythique
Gennevilliers…mais aussi les désabusés, les déçus de la vie ou de l’amour. Ses
chansons sont marquées par le terroir
comme ce beau chant dédié « au champ d’amandiers qui surplombe la
source… »…
Sur le plan personnel, c’était un
vrai ami, généreux et disponible ; un être charmant au sourire discret et
presque timide. Une figure qui donnait
tout leur charme et leur chaleur à certaines places gadiries, désormais
couvertes d’un voile de tristesse et de mélancolie.
dimanche 15 février 2015
Ma chronique du week- end
Chronique
du week-end Par Mohammed
Bakrim
Polémique :
le mauvais procès fait à Saïd Naciri
C’est un mauvais procès que l’on
fait à Saïd Naciri, le comédien marocain, star du One man show et cinéaste.
Après l’affaire de la comédienne parlant à son égard de harcèlement sexuel,
voilà qu’on l’accuse de plagiat. Sur les deux tableaux, il s’agit d’affaires
montées et amplifiées par les médias, notamment électronique. Ce sont deux
sujets, aussi bien pour le cas de la jeune comédienne que pour le plagiat,
éminemment sérieux et qui ne se règlent absolument pas sur la place publique.
Saïd Naciri est un artiste
éminemment populaire. On peut aimer ce qu’il fait ou ne pas aimer. Avec le
début des années 2000, il est passé à la production et à la réalisation
cinématographique. Sa filmographie compte des films qui ont caracolé en tête
des entrées. Dans le film de Nour Eddine Lakhmari et Nadia Larguet, Black
screen, il se présente comme « le sultan du box office ». Il n’a pas
tort. Des films comme Les Bandits, Le Clandestin, ou Sarah sont de véritables
comédies populaires qui ont drainé des foules dans le peu de salles qui restent
en activité.
L’histoire du plagiat fait
sourire. Quand un cinéaste dit « auteur » copie un autre cinéaste on
dit qu’il « cite » ou fait des clins d’œil à Godard, Hitchcock
ou…Martin Scorsese…quand il s’agit d’un cinéaste qui fait et ne le cache pas
dans le divertissement populaire, on crie au plagiat…Les Egyptiens qui en sont
à plus de 3000 longs métrages (le Maroc 300) ont toute une filmographie faite
de remake de Hollywood.
La pseudo affaire Naciri est en
somme un indicateur de plus sur le climat malsain qui règne au sein d’une
profession qui manque de référentiel et de boussole.
A voir :
Imitation game
C’est le film tout indiqué pour
donner une dimension cinéphile à un week-end
hivernal. Imitation game, film américano-britannique de Marten Tyldum
réunit en effet tous les ingrédients – histoire, casting, mise en scène- d’un
grand film de facture classique ; même si au niveau de structure narrative
il s’agit d’un récit d’une temporalité à trois niveaux sans linéarité
chronologique. L’histoire peut s’apparenter en effet à un genre remis à la mode
par Hollywood ces dernières années, celui du film biopic, biographical picture.
Le récit de vie filmique, en l’occurrence, la vie d’Alan Turing, un génie de la
science, l’informatique avant l’heure, qui a été appelé par l’Etat-major
britannique à intégrer un service de contre-espionnage chargé de décrypter le
système de renseignement et de transmission allemand, le fameux projet connu
sous le nom de code Enigma. Mais le film
ne se présente pas sous la forme d’une variante de film de guerre ; ce
cadre historique très fort en termes de dramatisation, n’est que le prétexte
pour livrer un témoignage sur une vie exceptionnelle, sur les prouesses d’un
cerveau qui a réussi à dévoiler une énigme. Une vie exceptionnelle, un cerveau
qui a dompté une machine, technologique et qui finit broyé par la machine
sociale. C’est le récit d’un génie dont le destin sera brisé par la loi des mœurs figées. Le film s’ouvre par une séquence dans
les années 50, au moment où a déjà commencé la déchéance de la vie de Alan
Turing avec la mise en place des éléments d’une intrigue policière : que
cherche à cacher le célébrissime agent du contre-espionnage britannique ? Aucune
clé n’est offerte d’emblée car le film revient à l’adolescence du futur génie
où nous découvrons ses penchants sexuels avant de le suivre dans sa brillante
carrière qui trouvera son apogée par l’accès au code secret allemand (l’un des
moments forts du film et la description du travail en équipe sous la triple
contrainte : le temps, la machine et la bureaucratie) et fera gagner ainsi
aux alliés la guerre tout en abrégeant sa durée et épargnant ainsi plus de vies humaines. Ce
héros atypique finira cependant broyé par l’archaïsme des mœurs…Plusieurs
années plus tard, en 2009, le Premier ministre Gordon Brown présenta des
excuses au nom du gouvernement britannique pour la manière dont Alan Turing fut
traité. En 2013, la reine lui exprima un pardon posthume. En 2015, c'est un
grand acteur qui, en l'incarnant, lui rend hommage. Le film est en course pour
les Oscars. Il a été très applaudi à
Marrakech, où il a été présenté Hors compétition. Notre avis : à voir.
A lire : Edgar
Morin dans Zamane
Le salon du livre ouvre ses
portes pour une nouvelle édition qui accueille la Palestine comme invité
d’honneur. Le pays de la résistance est (était ?) aussi le pays de grands
écrivains : Mahmoud Darwich, Sami Alkassem, Ghassan Kanafani ont-ils été
suivis d’une relève. A découvrir. Côté marocain, le nouveau livre-mémoire de
Abdellah Laroui est très attendu et fera certainement partie des meilleurs
ventes…Un salon pour célébrer la lecture au moment où le livre, pourquoi se le
cacher, a perdu la compétition qui lui est imposée par toute une panoplie de circuits,
de réseaux et de gadgets. Bientôt nous vivrons une autre variante du film
d’anticipation de François Truffaut, Fahrenheit 451…quand lire un livre devient
un acte de résistance. En attendant, la lecture intelligente passe
aussi par les revues et le dernier numéro (février 2015) de la revue
spécialisée dans l’histoire, Zamane, propose une excellente interview du sociologue
et philosophe français, et néanmoins marrakchi, Edgar Morin. Le théoricien de
la complexité y livre les éléments pour une approche lucide et apaisée de
l’actualité et nous invite à « assumer et affronter nos
contradictions ». A lire également la chronique toujours très tonique de
Hassan Aourid. Mostfa Bouaziz, l’éminent chroniqueur et conseiller scientifique
de la revue annonce son départ « momentané » , précise-t-il, de la
revue. Si Mostafa, reviens vite, ta plume citoyenne nous manque déjà !
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